[critique] Summer : 2 filles en été

Par Vance @Great_Wenceslas

Encore un film qui s'est fait remarquer l'an dernier lors de sa projection dans certains festivals, récoltant même le Prix de la mise en scène à Sundance ainsi qu'une intéressante notoriété sur le circuit européen. Dans le cadre d'un financement cosmopolite (des producteurs français ont mis leurs billes dans ce projet), Alanté Kavaïté a pu venir à bout de son projet visant moins à offrir à la Lituanie son premier film LGBT (comme elle l'a souvent clamé en interview) qu'à explorer les affres de l'adolescence, ses tourments et ses indécisions avant d'affronter la perspective d'un avenir incertain. L'expérience Cinétrafic permet donc de se faire une opinion, le film étant disponible en vidéo depuis le 17 février 2016.

Quoique largement acclamé par la presse internationale, Summer n'a que peu convaincu les cinéphiles de la Toile hexagonale (n'obtenant qu'une décevante 150e place au Palmarès de l'an dernier), sans doute échaudés (ou refroidis ?) par les nombreuses oeuvres plus ou moins ouvertement acquises à la cause gay qui ont fait florès ces derniers mois. Il est vrai que, de ce strict point de vue, l'histoire manque de subtilité entre une Austé dont l'exubérance et la joie de vivre ont un côté presque prédateur face au caractère atone de la sylphide Sangaïlé. Dès leur première rencontre, on comprend que la première est tombée sous le charme de la seconde laquelle ne trouve une échappatoire à son mal-être existentiel que dans les voltiges des pilotes lors des shows aériens (la réalisaterice nous explique qu'il s'agit d'un sport national en Lituanie). Sangaïlé donc, pauvre petite fille riche qui s'ennuie et préfère se scarifier que s'ouvrir au monde, suivra docilement Austé la virevoltante, Austé la joyeuse, vivant de petits boulots, s'adonnant à toutes formes d'arts, douée pour la couture, s'amusant les soirs avec des amis aussi insouciants qu'elle et n'hésitant pas à se baigner dans le lac bordant la centrale thermique locale. On ne peut pourtant pas vraiment parler d'emprise de l'une sur l'autre : Austé est amoureuse, dès leur premier contact visuel, et c'est d'abord dans les regards qu'elle maintient fixés sur le visage androgyne et la silhouette longiligne de la nouvelle venue que se dévoile sa passion dévoreuse. Dans cette énergie libératrice qui la pousse à emplir l'espace (celui de sa chambre, décorée par ses soins, totalement en contraste avec le dénuement de celle de Sangaïlé) avant de combler les vides dans l'existence de son amie. Austé crée pour elle, rit pour elle, s'investit totalement dans cette relation encore fragile car Sangaïlé ne se livre pas, hésite, se dérobe, ne répondant que timidement aux avances et refusant d'évoquer les causes de son spleen.

On pourra également arguer que le symbolisme est un peu lourdaud, mais il ne plombe pas le récit qui, s'il ne révolutionne rien dans les thèmes abordés et les situations dépeintes, est enrichi par l'interprétation véritablement lumineuse de ces deux jeunes femmes que la caméra aussi douce que précise vient constamment caresser, frôler, envelopper, ne les lâchant jamais au point que les seconds rôles n'apparaissent au mieux que vraiment secondaires : on ne s'attarde donc pas sur le copain qui raccompagne Sangaïlé chez elle et en profite pour lui faire l'amour (mais l'écran révèle dans le regard perdu de la fille qu'elle n'y trouve jamais son compte), ni sur les deux mères qui ne seront utiles que pour donner à chacune l'impulsion nécessaire à l'évolution de leur relation. En revanche, les scènes saphiques, si elles ont pu enflammer l'imagination de certains, demeurent dans la droite ligne du film qui n'est jamais bavard ou démonstratif ; on assiste bien davantage à une chorégraphie soyeuse où les sens s'éveillent à l'autre, à sa vue, son parfum et son contact. Dans ce souffle qui s'accélère, ces lèvres qui s'entrechoquent et ces mains qui s'agitent passe une intensité insoupçonnée, un courant vital qui était peut-être l'étincelle manquant à Sangaïlé, la non-vivante, pour trouver un sens à la vie et au monde.

Alanté Kavaïté ne se contente pas de cadrer ses héroïnes au plus près : grâce à l'appui de techniciens français pour la photographie (très soignée, jouant sur l'ombre et la lumière au gré des aurores et des crépuscules), la mise en scène s'avère méticuleuse et fluide, impulsant du sens à chaque séquence - au point que les sous-titres (il n'existe pas de VF pour cette édition) s'avèrent souvent inutiles. Quant aux rêveries, je comprends qu'elles aient pu agacer certains spectateurs, mais elles s'intègrent plutôt habilement au script, renforçant le lien qu'on a avec ce personnage qui n'apparaît jamais sympathique malgré tout, trop négative, trop recluse, trop effacée, presque sans substance, au contraire d'une Austé débordant de générosité, s'investissant corps et âme dans cette relation ô combien cristalline.

Un des bonus disponibles sur le DVD permet de revenir sur le parcours de nos deux personnages : trois ans après, les actrices témoignent face caméra et nous racontent à leur manière leur rencontre.

Quelques jolis morceaux composés par un membre du groupe Air viennent ponctuer une expérience délicate, légèrement sensuelle et élégante, l'histoire d'une jeune fille perdue au coeur d'un été et entre les mains d'une amie qui décideront du reste de sa vie.

Titre original

Sangaïlé

Date de sortie France

29 juillet 2015 avec UFO Distribution

Alanté Kavaïté

Julija Steponaityté, Aisté Diržiūtė , Juraté Sodyté, Martynas Budraitis & Laurinas Jurgelis

Musique

Jean-Benoît Dunckel (Air)

Dominique Colin

DVD UFO (2016) zone 2 en 1.85:1 / 86 min

: Sangaïlé, jeune fille de 17 ans, passe l'été avec ses parents dans leur villa au bord d'un lac de Lituanie. Comme chaque année, Sangaïlé se rend au show aérien. Cette fois, elle y fait la connaissance d'Austé, une fille de son âge, aussi extravertie que Sangaïlé est timide et mal dans sa peau. Une amitié va s'épanouir dans la sensualité de l'été...