Bureau des noms étroits
(nécropole des registres),
Perdus les cartes, le livret,
les citations à l’ordre de la patrie consolante,
perdus les lettres et le corps –
mais cherche un nom mort à la guerre.
On dit Verdun (comme ça),
Fort de Vaux (par exemple),
Rocroi, Rocroi, Rocroi,
Guelma de la harka (les vieux fusils Lebel)…
Les soldats s’insoumettent
mais ils tirent quand même.
On rabâche Verdun (Recherche de la pureté),
trente-six heures d’obus –
et sourd par-dessus le marché !
Qu’alors on s’est trompé ?
/
Passé le sac de Constantinople, la prise de Gand,
le siège de Namur vous y étiez,
et racle le récit frappé au fer de ce 24 juin :
« Nos bombes ne les laissaient pas respirer ;
ils voyaient sauter à tout moment en l’air
leurs camarades, leurs valets, leurs pain, leur vin
et étaient si las de se jeter par terre…
J’oubliais de vous dire que je vis passer les deux otages…
L’un avait le bras en écharpe ;
l’autre la mâchoire à demi emportée,
avec la tête bandée d’une écharpe noire…
Je vis aussi huit prisonniers
qu’on amenait du chemin couvert :
ils faisaient horreur à voir… »
Il reste toujours à dire des corps soumis qu’on amoindrit.
/
Ni Boileau, ni Racine
mais l’indécence des divisions cernées,
des charges cavalières déréglées au canon ;
glace rompue à boulets rouges, ça craque.
Un seul désespoir à plonger lentement,
les gorges s’ouvrent au redan de Pratzen,
les goitres jurent, bruissent les oreilles
(« Il a crié si fort, Arès ! »).
Ni Racine, ni Boileau – seulement Napoléon :
l’eau poissonneuse investit tous les corps
On rabâche Verdun,
le Mort-homme, bois des Caures, des Corbeaux :
la rage déboisante et meusienne du Kronprinz.
Persiste la légende héroïque, les villages crevés
au mémorial d’or sur la pierre sur la place,
près des cadres gauchis.
Vous n’aurez pas le corps
mais la voltige de pointe,
nettoyant tous ces douars,
perçait les marmots sous les chvères.
Restitution des corps ;
on cherche une date, morte à la guerre.
(…)
François Boddaert, VI, « Bureau des nécropoles (Restitution des crops), (Turold, Racine, Boileau, Hugo, Giono) », in Bataille, Tarabuste, 2016, pp. 99 à 101.
Lire le compte rendu de Bataille, par Jean-Pascal Dubost.