Se situant dans la lignée de la gent irascible des poètes de poudre et de mèche et de soufre (Agrippa d’Aubigné), ayant le logis de soi ombrageux, c’est en historien aussi bien de l’histoire des hommes que de celle de la langue que François Boddaert construit son monument au vif de la langue. Saisissant, pour chaque lieu d’ancien conflit, ce qui sourd de sa mémoire, en poète il s’évertue de rendre la tonalité perçue, ce qui mugit encore dans la terre, rappelant qu’il n’est guère de langue qui ne se construit dans la guerre, « Le Français, si batailleur jusqu’aux temps proches (et encore dans l’Orient moyen et l’Afrique), s’est fait une langue complexe qui semble un réseau de tranchées coupé de barbelés » ; la chose est dite ; et reprenant Karl Kraus : « À la guerre, il y va de la vie et de la mort de la langue… » La grande bataille qui le mène, verbe au clair, est de remémorer à chacun qu’une langue qu’on parle, qu’on écrit, ne naît pas dans un champ de coquelicots ; « Et si l’on considère, ce qui n’est guère original, que la violence est la grande accoucheuse de l’histoire, alors cette violence affecte aussi l’histoire des langues » (Louis-Jean Calvet3).
Il n’est pas impossible que le courroux du poète soit alimenté par une amnésie générale et facile et veule de l’Histoire et des ses violences, n’épargnant pas l’hexagonale étroitesse en rappelant au passage que le mot « terroriste », en France, est né et attesté en 1794, pendant la très pacifique Grande Terreur, pour désigner ses partisans, un usage et déplacement sémantique qui, aujourd’hui, n’est pas sans laisser songeur. Devant le vaste champ de bataille renouvelé, le poète ne peut être en paix, ni avoir le verbe défait et approbateur. C’est pourquoi la langue poétique de François Boddaert résiste, rudoie le lecteur, demande attention et vigilance, et d’avoir à portée de main quelques dictionnaires historiques ou de mots disparus au champ de bataille, mais résiste non point par souci gratuit de résister et d’être incompréhensible et illisible pour des clopinettes qui intéresseront un cénacle réduit, mais par soin de brasser large et loin dans la langue pour y charrier le mortier reconstructeur, par respect pour ceux qui ont résisté sur le terrain (pas dans les salons) quel que fût leur combat, et pour sauver quelque chose qui dût, parfois, les dépasser ; « pour affronter la conjuration des douleurs », le verbe doit être droit, combattif, digne. Si la langue de François Boddaert paraît savante, la raison paradoxale en est qu’elle puise dans la mémoire populaire (quand bien fût-elle Terroriste) ; par quoi elle étonne avantageusement ; et rend hommage à la langue française dans toute sa belle complexité.
L’engagement (n’ayons la timidité des mots) de François Boddaert est subtil, car il se fait au croisement de la langue des guerres et de la guerre des langues, de l’histoire des unes et des autres ; il est une ruse de guerre.
1 Obsidiane, 1987
2 La Dragonne, 2001
3 La guerre des langues, Payot, 1987, réed. coll. Pluriel, Hachette, 1999
François Boddaert
Bataille
(mes satires cyclothymiques)
Tarabuste, 13€ -lire des extraits du livre dans l'anthologie permanente de Poezibao.