Loin des télécabines de Courchevel, East River Skyway propose de relier Brooklyn et Manhattan en 30 minutes par le biais de cabines suspendues dans le ciel.
New York grandit. La ville grandit même rapidement puisqu’elle accueillerait 10 nouveaux habitants toutes les dix minutes. À Chicago et Los Angeles, les deuxièmes espaces urbains les plus importants du territoire américain, la croissance démographique est un sujet tout aussi sérieux. Le Ministère des Finances de Californie prévoit une augmentation de 33.8 % de la population du conté de Los Angeles entre 2010 et 2060.
Comme le soulève Timothy Papandreou, Chief Innovation Officer chez SFMTA - l’agence gouvernementale en charge des transports publics de San Francisco - « après la deuxième guerre mondiale, le gouvernement américain a principalement concentré ses investissements sur la construction d’autoroutes et sur l’étalement de ses villes contrairement à l’Europe. Ce qui a donné naissance aux scénarios qu’on observe aujourd’hui : les problèmes de congestion du trafic routier en zone urbaine par exemple ou encore la faiblesse des réseaux de transports en commun ».
Il est intéressant de noter que ces mêmes villes américaines ont donné naissance à un certain Uber suivi de sa ribambelle de concurrents directs - Lyft et Wingz par exemple - et indirects - SPLT. Si les embouteillages sont donc le pain quotidien de bon nombre de travailleurs new yorkais, le métro de la ville, lui, aussi dépasse ses limites en matière de capacité.
Timothy Papandreou, Chief Innovation Officer chez SFMTA
La multi-modalité, le point fort d’East River Skyway
Et si des « bus dans le ciel » de New York venaient désengorger le trafic ? C’est ce que propose le projet East River Skyway. Ces télécabines urbaines revisirent complètement celles que l'on peut trouver près des pistes de ski. Ces télécabines urbaines portent le joli nom en anglais de « gondola lifts » et ont été présentées par Daniel Levy, au récent South by South West (SXSW). Elles peuvent contenir jusqu’à 35 personnes. et relativement au contexte urbain, elles peuvent être très rapides grâce à système innovant (deux téléphériques installés l’un à côté de l’autre sur un même pylône). « Nos cabines, en arrivant toutes les 30 secondes, peuvent transporter jusqu’à 5 000 personnes par heure dans les deux directions », expose Daniel Levy.
East River Skyway, comme son nom l’indique, ambitionne de soulager le transport métropolitain de New York dans la zone de l’East River. La phase numéro 1 du projet consiste en effet à relier Brooklyn, en particulier la station de Williamsburg à la pointe de Manhattan, au Rockefeller Center, le tout en une trentaine de minutes, ce que le métro permet de réaliser en une heure environ aujourd’hui. Comment ? En installant une ligne de télécabines, entre 100 à 120 mètres au dessus du niveau de la mer, longeant le circuit du pont reliant les deux îles. Les phases suivantes consisteront à étendre le réseau tout autour de la rivière en connectant la station South Street Sea Port à la Cornell Technion Campus.
Si la vue promet d’être époustouflante, East River Skyway n’est pas une simple attraction visuelle et se veut un vrai moyen de transport pour faire face au challenge de la croissance démographique en zone urbaine, en jouant sur la multi-modalité : « Notre force, c’est notre capacité à nous intégrer aux réseaux de transports préexistants. Ainsi, je peux facilement sortir du métro pour prendre une télécabine et éviter le métro bondé aux heures de pointe tout en traversant la rivière, en moins de 4 minutes », explique Daniel Levy.
En outre, les télécabines sont entièrement écologiques : les câbles sont mises en action au moyen d’un moteur électrique. Enfin, elles seraient aussi rentables selon les propos de Daniel Levy, un discours qui ne peut que susciter l’intérêt des entreprises qui opèrent les réseaux de transports urbains, la rentabilité des lignes de métro étant un point plus que sensible...
New York inspirée par les grandes villes des pays émergents ?
Rio de Janeiro au Brésil, dans la favela de Complex do Alemão ou encore La Paz en Bolivie ont également développé des systèmes de téléphériques similaires. Dans ces contextes précis, les télécabines palient à la pauvreté voire la quasi absence de transports en commun dans des régions au contexte social compliqué. « Alors que les habitants du quartier d’El Alto devaient changer plusieurs fois de bus pour aller travailler à La Paz, la solution de télécabine a réduit le temps par 3 et ramené le prix du ticket à 50 cents, soit 3 bolivanios contre 5 avant. Le tout pour un voyage à 40 000 pieds au dessus du niveau de la mer !», détaille Daniel Levy.
Singapour, bien connu pour sa circulation quelque peu congestionnée a également développé un réseau similaire entre deux des tours les plus hautes de la ville tout comme Londres, à l’occasion des Jeux Olympiques pour traverser la Tamise (un projet financée à hauteur de 50 % par la compagnie aérienne Emirates, qui lui a donné son nom).
Le téléphérique de Roosevelt Island
Si East River Skyway se démarque par la vaste portée de son projet, New York faisait déjà en 1976 l’heureuse expérimentation de télécabines sur une petite portion de son réseau, le fameux téléphérique de Roosevelt Island. En 2010, l’entreprise grenobloise Poma remportait le marché pour renouveler le système, tombé en panne en 2006. Lors de l’ouragan Sandy, ce fut le dernier transport à fermer et le premier à réouvrir, preuve de la sûreté de sa technologie. Récemment, les travaux qui ont été annoncés sur la ligne L du métro de New York suite à l’ouragan Sandy ont inquiété l’opinion public. En effet, en semaine cette ligne transporte jusqu’à 350 000 passagers par jour et constitue ainsi une des lignes les plus fréquentées du réseau métropolitain new yorkais. East River pourrait donc permettre de soulager l’encombrement des réseaux, surtout en période de travaux.
Pourtant, si East River Skyway convainc par le force de sa proposition de valeur (rapide, intégrée aux transports existants, écologique et rentable), ne s’agirait-il pas d’un simple pansement pour tenter d’arrêter l’hémorragie qui commence lentement à gagner les villes américaines ? Ces dernières ont indéniablement besoin de renforcer leurs réseaux de transport public, elles devraient aussi à n’en pas douter concentrer leurs efforts sur la mise en place de mesures concrètes pour réduire le nombre de voitures dans les villes et faire le promotion de modes alternatifs de transports, à commencer par le vélo. Rappelons au passage que nous évoquons ici le cas de New York, qui fait figure d’exception en matière de transport public, au même titre que San Francisco. Malheureusement, le reste des États-Unis ne peut pas en dire autant...