« À mon âge, le tri s’impose, quand on prend la plume, comme je le fais à cet instant, pour raconter l’essentiel d’une traversée. Vie d’avocat, vie d’apparat. J’ai fait ce métier parce que c’était la chose la plus facile que j’avais trouvé à faire. J’ai mis si peu de temps à découvrir la face chimérique de ma profession, que je me dois de souligner ce trait typique de ma nature : je suis un grand bavard – parler, je sais faire, des heures, sans tenir compte du point de vue de mon interlocuteur – mais surtout un paresseux, et le seul métier, m’avait dit Le Sage, que j’avais consulté après mon baccalauréat, était celui qui pouvait me permettre de conserver le gain tout en mettant à profit mon amour de la palabre. »
Il est des lectures qui ont raison de vous. Il faut juste l’accepter. Accepter qu’une lecture sous-jacente ait pu vous échapper, qu’un sous-texte ait eu raison de votre cerveau. La dernière fois que ça m’est arrivé c’était avec le "Montée aux enfers" de Percival Everett dont la fin m’avait laissé plus que dubitatif. Pour le coup, cette "légende de l’assassin" de Kangni Alem n’a pas réussi à m’attraper ni par son intrigue, ni par son ton, ni par son rythme. Et je veux bien croire que je sois passé aux travers des intentions de l’auteur.
« L’indépendance nous avait rendus à notre nature réelle, celle de corrupteurs intrinsèques, de trafiquants de muselières, et surtout de conteurs à la langue pendue ayant rarement froid aux yeux. Ce n’était pourtant pas les mots pour décrire autrement les choses qui nous manquaient. Ce qui au final nous faisait défaut c’était une volonté réelle de se colleter à la réalité pour arriver à la décrire simplement, sans artifice. »
L’auteur nous traine dans la tête du sexagénaire (?) cynique et désabusé Apollinaire, fraichement retraité, et qui revient sur son passé d’avocat en ayant un arrière-goût d’inachevé sur une affaire, vieille de vingt ans, qui a valu la peine de mort à un déséquilibré accusé d’avoir décapité un homme et tué deux autres à la machette. Apollinaire, en jeune avocat commis d’office, n’avait pas, et c’est le moins que l’on puisse dire, vraiment bataillé pour son client et le poison du remord, et de la curiosité, pointant son nez, il se remet en contact avec un vieil évangéliste, le pasteur Hightower, limite fétichiste sans l’assumer, excité, exalté et prêcheur star médiatique. Vingt ans plutôt, cet homme lui avait fait parvenir une invitation à le rencontrer, lui disant qu’il avait des informations pouvant prouver la non culpabilité de son client K.A. Apollinaire n’honorât pas ce rendez-vous.
On s’enfonce dans la lecture en anticipant mystique et polar. On avance dans le portrait de cet homme désabusé et solitaire en y percevant un peu de ces polars à l’écriture enlevé que Florent Couao-zotti, et dans une moindre mesure, Janis Otsiémi, savent conter ; mais…
Au premier tiers du livre je crains la déception... Pourtant, j’ai découvert cet auteur grâce à "Cola-cola jazz"qui m’avait ébloui. L’écriture, l’histoire de cette fille partant sur les trace de son père ; c’était magnifique ! Puis, la claque : "Esclave" ! Lecture sublime, dynamique, fluide, superbe histoire pleine de tension et surtout ; apprendre un pan de l’histoire du Bénin (mais aussi la rébellion des esclaves sur l’île de Bahia, les afro-brésiliens) qui m’était totalement étranger. Un must read dans la lignée des "Les maquisards" de Hemley Boum, "Chroniques abyssiniennes" de Moses Isegawa, "American Darling" de Russel Banks ou " La Saison des fous" de José Eduardo Agualusa. Mais cette légende de l’assassin n’a, pour l’instant, ni la beauté ni la densité des deux précédents romans de Kangni Alem. En attendais-je trop ?
« La ville, c’était le lieu du grand show, les passages à la télé et sur les radios où Dieu se vendait entre deux pages publicitaires sur le riz et la tomate en conserve, l’assurance d’un nombre important de fidèles aux veillées de prière, donc la garantie de quêtes dominicales plus importantes, de dîmes fulgurantes versées par des cadres fortunés, pour l’érection de nouvelles chapelles. La ville, c’est quand même plus facile. Nettement plus facile si l’on se soucie de faire carrière, et de démontrer aux gogos que Dieu demeure un ascenseur social incomparable, et l’évangéliste lui-même le fumeur d’un opium dont l’odeur n’atteindra jamais les narines du pauvre abîmé dans sa prière cocorico. »
Le style gouailleur et - parfois - iconoclaste m’aurait sûrement transporté s’il s’était s’agit d’un jeune auteur en devenir. Les échappées digressives incessantes auraient été une belle trouvaille de construction du roman s’ils avaient réellement été au service une intrigue solide. Et l’intrigue de départ, disons-le, tient du trailer mensonger...
Je n’ai pas accroché à ce nouveau roman de Kangni Alem. Je l’ai trouvé trop léger compte tenu du talent de l’auteur. L’écriture se veut gouailleuse mais tombe plutôt dans l’excessif exercice de style. Les mots pour les mots, c’est impression que ça donne parfois. L’histoire est sympathique, mais elle se traine, elle semble refuser de choisir entre la fable social et le polar.
Et cette seconde moitié du livre ; je n’ai rien compris !
Bref, je suis très certainement passé à côté de ce livre dont l’auteur m’avait scotché sur son "Coca-Cola Jazz" et surtout, magnifiquement bluffé avec son "Esclave" . A découvrir, si l’on est déjà lecteur de Kangni Alem, et si on ne l’est pas, sautez sur les deux autres livres cités.
« Toute cette histoire avait fini par embrouiller le pasteur. Il prêchait dur mais vivait mou. »
« La légende de l’assassin »
Kangni Alem
Éditions JC Lattes