Le chamanisme s’invite au quai Branly à travers la figure totémique de l’Equateur précolombien, j’ai nommé le chamane. Une exposition à thème, didactique, intéressante et claire où il ne vous faudra pas oublier d’aller au-delà de la simple information et vous imprégner de la beauté des pièces présentées, venues tout droit de l’Equateur pour nous ravir les yeux.
Le chamane est la figure emblématique de l’immense majorité des sociétés précolombiennes connues à ce jour. Au coeur des chefferies que le plus souvent il dirige, il est le pilier de la communauté, d’un point de vue tant religieux que sociétal. De fait, que ce soit en céramique ou en orfèvrerie, il est énormément représenté dans les arts et tient une place primordiale dans l’iconographie du monde des Andes. Le quai Branly a décidé de lui rendre hommage en tentant de comprendre au mieux et surtout expliquer la place et les fonctions de cette entité haute en couleur.
Chamanes et divinités, quai Branly © Photo : Agathe Torres, JBMT
Car le chamane est partout et c’est un être tout feu tout flammes ! Son étude est passionnante car elle est représentative de tout un mode de pensée qui était celui de ces peuples mythiques vivants dans l’ancien Nouveau Monde il y a quelques milliers d’années. Chef de village, guérisseur, intermédiaire des dieux, astronome, prédicateur, sage-femme… ses prérogatives sont infinies et il joue le rôle d’autorité religieuse tant que d’autorité politique dans des sociétés largement théocratiques. C’est lui qui officiait pour offrir tous les biens aux chefferies, qu’ils soient divins ou terrestres.
Cela est très bien représenté par l’immense diversité des pièces de céramique produites par les peuples de l’Equateur et représentées dans l’exposition. D’abord, le chamane lui-même est représenté de diverses façons, selon son activité. Mais sont modelées aussi les scènes auxquelles il participe, comme les passages de la vie avec une céramique présentant un accouchement, ou une mariée, mais aussi des musiciens qui officient aux cérémonies, ou bien même des attributs qu’il peut porter lors de la transformation chamanique. Dans le monde andin, tout est traduisible en céramique, ce qui en fait un des arts les plus riches et fourmillant d’informations.
Au cours de l’exposition, on tombe aussi sous le charme de la sobriété de certaines pièces comme un masque de cérémonie ou de touchantes scènes de la vie quotidienne et intime de ces peuples équatoriens. On ne se lasse pas non plus d’observer la puissance lisse qui transpire de l’expression de la femme-chamane ou d’étudier avec attention le détail de ses tatouages. On cherche sur les joues de nos chamanes les petites boules qui représentent la coca sans cesse mâchée qui est celle qui, mêlée à la chaux, permet au chamane d’atteindre l’état de transe recherché pour la transformation chamanique ; car bien évidemment, c’est le stade le plus intéressant, le plus étudié et le plus représenté des prérogatives du chamanes.
Chamanes et Divinités, quai Branly © Photo : Agathe Torres, JBMT
Vous apprendrez tout, en visitant l’exposition, sur le stade de transe de la transformation chamanique qui a donné à l’art andin ses plus belles représentations ; je vous en épargne donc les longues et haletantes explications. Mais cet état, semi-conscient, entre deux ou plusieurs mondes, mi-humain mi-animal, donne lieu à d’étonnantes chimères aux attributs croisés, emblématiques de ces sphères intercosmiques et croyances enchevêtrées, mystérieuses et fastueuses, à partir desquelles on forge nos imaginaires les plus fertiles.
Chamanes et divinités, musée du quai Branly © Agathe Torres, JBMT
Si l’exposition se concentre sur quatre cultures prédominantes de la côte Equatorienne, la figure du chamane est un de ces éléments fondateurs des cultures précolombiennes qui unifient le territoire. Du nord de la Colombie au Sud du Pérou, le chamane est partout, et recouvre à peu près les même fonctions. Omniprésent dans les sociétés et donc dans l’art, il est passionnant de se plonger dans son étude et de voir les similitudes et différences qui qualifient sa représentation. Et bien que l’exposition l’indique peu, cela y est pourtant très lisible.
Au sein même de l’Equateur, la variation des styles et des formes force l’admiration. Côte à côte, dans des cultures qui partageaient une même religion, un même territoire, on trouve des modes de représentation extrêmement divers. Ainsi la profusion d’ornements et la précision des détails d’une sculpture Tumaco côtoie la sobriété plastique d’une figure Chorrera, dont la force expressive réside dans l’épuration des formes, la stylisation des traits, le lissé de la pâte. Pourtant, les deux sculptures présentent exactement la même scène, le même personnage. On est toujours étonné de la formidable diversité de l’art de la céramique précolombienne qui, sans même avoir inventé le tour de poterie, parvient à une finesse et une expression hors pair dans des céramiques à l’infini répertoire iconographique.
Chamanes et divinités, musée du quai Branly © Agathe Torres, JBMT
La dernière salle de l’exposition nous parle brièvement de ce qui est une véritable révolution scientifique dans le monde précolombien. A travers quelques pièces soigneusement choisies et d’une étonnante beauté, une ultime vitrine fait état des fouilles du centre de recherche du Musée National de l’Equateur, qui a prêté l’exposition au quai Branly. Elles proviennent d’un site découvert dans une zone reculée du pays, bien plus enfouies dans la Cordillère que les sociétés que nous connaissons sur la côte équatorienne et bien plus anciennes que ces mêmes voisines.
Même si on regrette un peu que la place de l’esthétisme soit trop peu mise en valeur dans une exposition qui ne laisse pas pleinement s’exprimer la beauté des pièces dans leur diversité stylistique, on vous recommande chaudement l’exposition Chamanes car elle propose une découverte concise et claire de la figure du chamane, centrale et emblématique pour les peuples indiens. Si la transformation chamanique a toute la place qui lui est due, on est aussi ravi de découvrir les autres aspects de la vie de ce cacique religieux, tout aussi essentiels et pourtant souvent moins retenus dans les publications scientifiques et les expositions. Pourtant, ce ne sont pas les exemples qui manquent et ils nous ouvrent à tout un monde qui est celui, bien méconnu, de la vie quotidienne des sociétés andines précolombiennes.
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Chamanes et divinités de l’Equateur précolombien
Musée du quai Branly
Du 15 février au 15 mai 2016
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