Quatrième de Couverture
Aux portes de l'automne, un homme entreprend de traverser la France à mobylette, d'un port de Bretagne jusqu'à Grenoble, pour aller retrouver sa mère. Née dans un village d'Algérie, descendue d'un bateau à Marseille dans les années 1950, elle va subir à quatre-vingt-quatre ans un dernier déracinement : l'immeuble dans lequel elle vit depuis quarante ans doit être rasé.
Au fils des mille kilomètres de trajet, le fils remonte le cours de l'histoire de sa mère : l'enfance confisquée, les premiers taudis lors de l'arrivée en France, le racisme mais aussi les parfums épicés de sa cuisine, sa force d'espérance, l'amour porté à ses quatorze enfants.
A cette mère illettrée, dépossédées très tôt de son destin, Ahmed Kalouaz adresse une lettre bouleversante de tendresse et de pudeur. Après l'évocation de son père dans "Dans tes mains", il poursuit l'exploration de sa mémoire familiale, illuminée par sa plume dense et limpide.
Mon avis
L’histoire s’articule uniquement autour du périple entrepris par ce fils, de Bretagne à Greboble, en mobylette. Il prend son temps pour rejoindre sa vieille mère, plusieurs jours, sur son engin qui ne respire pas la jeunesse et qui appartenait à son père. Au détour de ses haltes dans les villages qui attirent son attention, ce fils retrace le fil de la vie de sa mère, ce qu’il en sait. Il se rend compte qu’il y a beaucoup de choses qu’il n’a pas pris le temps de lui demander. Et il le regrette.
Ahmed Kalouaz nous entraîne dans quelques passages de vie d’une immigrée, mariée jeune, sans amour, ayant perdu des enfants, ses racines, sa jeunesse. D’un petit village d’Isère à une cité grenobloise, l’auteur nous parle de la misère, des difficultés rencontrées par les Algériens arrivés en France pour travailler. Racisme, dur labeur, paye médiocre, retraite honteuse… Mais, surtout, condition de la mère. Cette mère qui a quitté son pays en pensant y revenir rapidement mais qui est toujours en France à quatre-vingt-quatre ans, cette mère qui a élevé dans la misère tous ses enfants en leur assurant le meilleur avec ses maigres moyens, cette mère qui les a préservés de l’attrait du crime à coup de menaces, cette mère qui n’a jamais su lire mais qui leur a tout donné pour qu’ils puissent devenir de bonnes personnes, cette mère qui au fil des ans s’est rapprochée de la religion en voilant ses cheveux, en faisant le pèlerinage... Et ce fils qui se rend compte qu’il n’a peut-être pas suffisamment dit « merci », par pudeur, parce qu’on ne dévoilait pas ses sentiments, on n’abordait pas certains sujets… Comme le fait que cette mère illettrée n’ait finalement pas accès à ce qu’écrit son fils : personne parmi ses enfants n’a eu l’idée de lui apprendre à lire, à écrire. Elle n’en a pas formulé le désir parce que beaucoup de choses ne se disaient pas.
« Tu es là, que Dieu te garde, tu es souvent parti loin de moi. J’ai fait beaucoup d’enfants, il m’en est toujours resté deux ou trois, à portée de main, fidèles. Je parle, je parle, tu veux un thé peut-être ? Oui, tu veux un thé. On me dit que tu écris, mais pour qui ? Si ta mère n’y a pas droit, ça sert à rien non ? Et puis moi aussi j’ai de quoi raconter ! Si tu savais tout ce que j’ai fait pour vous, pour toi. Dans le noir, pour ne pas vous déranger, je cherchais la boîte d’allumettes. Je savais, en grattant la première, donner un peu de lumière dans la pièce. » (p106)
Ahmed Kalouaz réussit à transmettre toute sa mélancolie, tous ses regrets, toute la beauté de cette histoire. Ses descriptions sont superbes, poétiques et sans trop de fioritures. Le voyage et les souvenirs se mélangent tout au long du livre, avec des transitions parfois floues, sans que cela dérange, bien au contraire, on entre plus encore dans la tête du personnage. Prenez vos pensées, lorsque vous marchez par exemple : « le café de ce matin m’a fait du bien, vraiment, je me souviens de l’odeur du café dans la cuisine, quand j’étais petite, que papa buvait à grands bols, oh, j’adore les cheveux de la personne qui marche devant moi… ». Ce roman est écrit de façon aussi naturelle dans l’enchaînement, si ce n’est qu’il est bien plus poétique que nos pensées du matin. Il faut que ce genre de structure plaise, c’est évident, et c’est le cas pour moi. Cela m’a permis de prendre ce livre comme un vrai récit, comme si les mots que je lisais, je les prenais directement dans la tête de l’auteur. Le format court permet cet exercice et Ahmed Kalouaz le sublime.
Le narrateur soulève des questions liées à l’immigration, de la religion à l’attachement à l’Algérie pour sa mère, de son attachement à la France pour lui. Il appose sans violente opposition, parce que leurs vécus sont différents, leurs souvenirs aussi. Lui s’est construit en France, après être né en Algérie. Elle, a fait sa vie en France, avec en tête de rentrer un jour chez elle. Il ne peut y avoir de comparaison stricte et il n’en fait pas. Il compare et comprend qu’il n’a pas posé toutes les questions qu’il aurait dû à cette mère dont il ne connaît pas tout : elle a partagé avec lui très peu de souvenirs de l’Algérie de sa jeunesse, finalement, et il le regrette aujourd’hui.
Ahmed Kalouaz signe ici un récit tendre, triste et touchant. Décousu mais qui dit l’essentiel et dont la forme se prête complètement à des souvenirs saupoudrés çà et là. Deuxième tome d’un triptyque sur sa vie, l’auteur se livre dans un hommage poignant à sa mère, figure forte que la vie n’a pas épargnée. Les tomes peuvent se lire séparément, mettant chacun en avant une personne de sa famille. Si vous aimez les récits du genre, n’hésitez pas. Si par contre vous avez besoin d’une structure plus stricte, moins floue, vous risquez d’être légèrement déroutés par l’enchaînement des idées. Pour la poésie, les regrets, la vie, foncez.