Partager la publication "[Critique] DEMOLITION"
Titre original : Demolition
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Jean-Marc Vallée
Distribution : Jake Gyllenhaal, Naomi Watts, Chris Cooper, Judah Lewis, Polly Draper, Heather Lind, Debra Monk…
Genre : Drame
Date de sortie : 6 avril 2016
Le Pitch :
Davis, un brillant banquier d’affaires, voit sa vie bouleversée lorsque sa femme meurt dans un accident de voiture dont il est sorti indemne. Curieusement, le jeune homme ne ressent aucun chagrin. À la place, il s’enfonce dans une sorte de léthargie éveillée et commence à faire des choses étranges qui déconcertent son entourage. Comme cette lettre de réclamation qu’il décide d’écrire à une compagnie de distributeurs automatiques après avoir été floué. Lettre qui le conduit à rencontrer une mère à la dérive et son fils…
La Critique :
Jean-Marc Vallée a su faire de la sortie de chacun de ses nouveaux films un événement. Il faut dire que le réalisateur a auparavant étonné son monde avec C.R.A.Z.Y., Dallas Buyers Club et Wild, et qu’aujourd’hui, forcément, les attentes le concernant sont énormes.
Avec Demolition, Vallée a décidé d’adapter un script de Bryan Sipe présent en 2007 sur la fameuse Black List qui recense les meilleurs scénarios n’ayant pas encore été mis en images. Un scénario qui traite de l’incapacité d’un homme a ressentir du chagrin quand sa femme décède tragiquement et qui décide un beau jour, de démonter puis de détruire plein de trucs (d’où le titre).
On assiste donc à la chute d’un golden boy de la finance. Dans le rôle, Jake Gyllenhaal est bien sûr parfait, mais ce n’est pas le problème. Le soucis vient plutôt du fait que son personnage, Davis, n’est pas vraiment attachant. Intriguant oui, mais pas attachant. Il ne pleure pas soit, mais adopte également une attitude des plus déconcertantes, qui, on s’en doute, prend tout son sens à la fin. Dans ce genre de film, le dénouement est primordial, car c’est lui qui détermine si tout ce qui a précédé tenait la route. Et dans le cas présent justement, la façon dont l’histoire se conclue ne convainc pas pleinement. Oui, l’émotion perce et oui on peut deviner une certaine logique, mais non, cela ne suffit pas à conférer un sens véritable à tout ce que nous avons vu depuis le début. Le script va trop loin dans la déconstruction. Quand Gyllenhaal prend une masse et démolit tout ce qui l’entoure, y compris sa baraque, on saisit ce que Jean-Marc Vallée veut nous faire comprendre, à savoir qu’il faut tout raser pour mieux reconstruire (entre autres choses), mais au fond, son comportement indique aussi que nous avons affaire à un mec un peu détestable. On se range alors du côté de Chris Cooper, qui incarne le personnage du père de la défunte et qui est complètement paumé face à son gendre et à ses nouvelles lubies. Alors que Gyllenhaal prend conscience que le boulot et l’ambition ont grignoté jour après jour son humanité, Demolition orchestre sa seconde naissance. Long-métrage plus philosophique qu’intellectuel, il illustre des émotions contradictoires, mais peine à retomber sur ses pieds à la toute fin, quand tout est censé rentrer dans l’ordre. La crédibilité en prend un coup dans l’aile. Cela dit, la fin en question, et c’est là qu’on voit que Vallée est très fort, arrive quand même à émouvoir. Envers et contre son caractère un peu brusque qui semble avoir été extrait d’un autre film et posé là, juste pour voir si ça collerait.
Pour résumer, il serait tentant d’affirmer que les velléités psychologiques et métaphysiques de Demolition ne volent pas bien haut. On tente de nous faire croire le contraire mais au fond, ce n’est pas le cas. Demolition est un film plutôt simple. Contrairement à Wild et à Dallas Buyers Club qui étaient aussi puissants que limpides dans leur discours, celui-ci pédale un peu. Il trébuche car il cède trop souvent aux tics inhérents à un certain cinéma indépendant pour arriver à ses fins, comme en témoignent également les personnages de cette mère de famille destroy et de son fils rebelle, par ailleurs tous les deux parfaitement campés par Naomi Watts et le jeune prodige Judah Lewis. Tout paraît un peu préfabriqué pour réellement fonctionner. La métaphore de la déconstruction manque de finesse. Sous couvert d’une démarche douce-amère, le film y va, littéralement, à coups de masse, malgré les efforts de Jean-Marc Vallée pour habiller le tout. Son travail est admirable. Sa réalisation et son montage s’avérant très sensitifs et parfois même carrément poétiques. C’est d’ailleurs lui et les acteurs qui tiennent la baraque quand celle-ci commence à se fissurer sous les assauts impétueux de thématiques étrangement retranscrites par un script maladroit et lourdaud.
Au beau milieu, Jake Gyllenhaal impressionne une nouvelle fois. Son rôle, il le vit pleinement, même si celui-ci souffre d’imperfections flagrantes. Gyllenhaal n’est pas du genre à y aller doucement et une fois encore, son investissement et sa capacité à capturer ces petits quelques choses qui font toute la différence, permettent à Demolition de garder la tête hors de l’eau. De toujours entretenir un espoir tenu quant au sens véritable de cette réflexion sur le deuil, l’ambition, le temps qui passe, la famille, l’amitié, l’amour, et la mort.
Quand Demolition croule sous le poids de ses ambitions parfois mal canalisées, Gyllenhaal tient ses positions et s’avère être le mur porteur de tout l’édifice. Même si son personnage n’est pas toujours sympathique, il est au moins toujours intriguant. Toujours stimulant. Si le film en fait souvent trop, l’acteur lui, jamais. Et si Demolition n’est pas entièrement une bête à festival, programmée pour amasser les prix, c’est grâce à lui. Grace à Naomi Watts aussi et bien sûr à Jean-Marc Vallée, dont on espère que la prochaine livraison lui permettra de laisser pleinement parler son talent si viscéral en étant débarrassé de ces gimmicks un peu trop grossiers pour être honnêtes.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : 20th Century Fox