Punir, réprimer, surveiller sont des pratiques qui font désormais partie intégrante de notre réalité quotidienne.
Punir, réprimer, surveiller sont des pratiques qui font désormais partie intégrante de notre réalité quotidienne.
Le chômeur par exemple ne pourrait refuser, sous peine d’une diminution ou d’une suppression de ses indemnités chômage, deux « offres valables ou raisonnables d’emploi ». Une « offre raisonnable » correspond à un emploi répondant aux qualifications du chômeur, rétribué au moins au niveau de l’indemnité chômage et situé à moins de 30 km ou à moins d’une heure de son domicile. Autrement dit, le chômeur est tenu d’accepter tout poste dont la rémunération est, en général, égale à 57,4 % de son salaire initial à 30 km ou à une heure de son domicile. Il peut toujours refuser une fois, mais le deuxième refus entraînerait ipso facto sa radiation des fichiers de l’ANPE. Et c’est là l’objectif essentiel de la mesure : punir pour faire baisser les salaires et augmenter le profit.
Les chômeurs plus âgés (57 ans et demi) devraient se mettre eux aussi au boulot. Car « à cet âge-là, on n’est pas fichu, on peut retrouver un emploi » disait l’aristocrate du gouvernement Christine Lagarde (1). Il faut mettre tout le monde au turbin y compris ces « vieux fainéants » qui attendent tranquillement la retraite. Ainsi la concurrence des chômeurs, de plus en plus nombreux, sur un marché du travail déprimé ne peut qu’entraîner là encore une baisse des salaires.
Le travail est ainsi érigé en valeur absolue au moment même où il se raréfie : « valeur travail », « travailler plus pour gagner plus », « Je veux une politique fondée sur l’effort et le travail », « la crise morale française porte un nom : c’est la crise du travail », « moi je veux être le candidat du travail » etc. (2). Le 28 novembre 2004 lors de son investiture à la présidence de l’UMP, Nicolas Sarkozy déclarait que « la France du travail doit être au cœur de toutes nos politiques ». (3). Mais le travail a d’autres vertus aux yeux du président de la république : « Le travail libère l’individu » (4). Ce fétichisme pour le travail du président est partagé par Christine Lagarde qui a dénoncé avec force le célèbre « Droit à la paresse » de Paul Lafargue (1842-1911). Evidemment elle a passé sous silence le contexte historique de ce pamphlet, celui de la lutte de la classe ouvrière pour la journée de 8 heures. A l’époque les ancêtres de Mme. Lagarde, qui aimaient aussi le travail, faisaient subir aux salariés, hommes, femmes et enfants des journées de labeur dépassant souvent les dix heures et les congés n’existaient pas encore. Patrick Devedjian, secrétaire général de l’UMP a, le 19 mai 2008, célébré à sa manière le travail en appelant au « démantèlement définitif des 35 heures » et exprimé devant la presse sa volonté de faire disparaître la durée légale du travail (5).
Mais ce culte pour le travail masque en fait une terrible réalité. Car ce que Mme Lagarde et son président appellent travail n’est que corvée et aliénation pour des millions d’hommes et de femmes qui n’ont d’autres choix que de se vendre comme une marchandise sur le marché pour survivre. Cela n’a rien à voir avec le travail libéré de l’exploitation qui permet à l’homme de maîtriser la nature, sans la saccager comme aujourd’hui, pour satisfaire ses besoins. Il lui permet également de dégager du temps libre, grâce à la science et à la technique, indispensable à son épanouissement et à son développement.
L’idéologie dominante vante le travail pour, en dernière analyse, livrer l’individu au patronat.
Mais idéaliser le travail ne suffit pas. Il faut également briser l’instrument essentiel dont disposent les salariés pour se dresser contre l’exploitation : la grève. La loi du 21 août 2007 sur le service minimum dans les transports publics terrestres constitue une véritable atteinte à l’exercice du droit de grève. Elle prévoit notamment le dépôt d’un préavis de grève 48 heures à l’avance et une consultation à bulletins secrets après huit jours de grève.
Le 15 mai 2008, à peine la manifestation des fonctionnaires terminée, Nicolas Sarkozy annonçait : « J’ai demandé au gouvernement de déposer avant l’été un projet de loi qui instituera un droit à l’accueil des enfants inscrits dans nos écoles ». Ce projet prévoit également « qu’en cas de grève, les professeurs grévistes se feront connaître 48 heures à l’avance » (6). Derrière cette atteinte au droit de grève, se cache également la volonté du gouvernement et du patronat d’individualiser l’action collective, de casser l’union des grévistes, que résume le slogan « tous ensemble ».
Il ne faut pas sous-estimer la portée de ces entraves. Le pouvoir politique en collaboration avec le patronat peut très bien étendre ces restrictions à d’autres secteurs jusque-là épargnés. Mais il peut également restreindre davantage encore l’exercice du droit de grève jusqu’à le vider de sa substance. Les exemples de limitations de ce droit ne manquent pas en Europe. Ainsi en Italie, les syndicats de transport doivent déposer un préavis de grève et indiquer sa durée au moins dix jours à l’avance ce qui interdit de fait les grèves illimitées.
Au Royaume-Uni, le déclenchement de la grève est sévèrement encadré par l’Employment Act de 1982. La grève n’est légale que si elle est adoptée à la majorité par vote à bulletin secret. Les grèves de solidarité (soutenir les revendications d’autres salariés) sont tout simplement interdites (toujours cette obsession de briser l’union des grévistes).
En Allemagne le droit de grève est interdit aux fonctionnaires statutaires ! Dans les transports publics, la grève doit être approuvée par une forte majorité (75 %) de salariés syndiqués depuis au moins trois mois (7).
Et comme cet arsenal juridique ne suffit pas, il faut le compléter par la répression et la brutalité. Le Droit servira ici de support à cette répression (voir entre autres les lois Perben). Police et justice sont employées ensemble au service des intérêts dominants. Toute résistance doit être, au nom de la loi, écrasée. Le gouvernement et le patronat savent très bien que toutes les avancées sociales, sans exception, sont arrachées de haute lutte. C’est dans ce cadre général qu’il faut situer la vague répressive actuelle qui s’abat sur le mouvement social. Interpellations, arrestations, incarcérations, mise à pied conservatoire et disciplinaire, harcèlement en tout genre etc. se succèdent et se généralisent. La brutalité et la violence physique et verbale accompagnent souvent ces méthodes répressives. Les lycéens (des mômes de 15 à 17 ans pour la plupart) en lutte pour un enseignement de qualité et ouvert à tous ont été, dans de nombreuses villes de France, gazés, matraqués et traînés au sol sans ménagement par des CRS et des policiers en civil. Certains ont passé la nuit entière au commissariat en garde à vue sans pouvoir voir leurs parents à la suite des interpellations parfois devant leur établissement. Le passage de ces adolescents au tribunal était douloureux et traumatisant vu la violence des propos tenus à leur égard, comme s’ils étaient des criminels, par le procureur de la république. Et on va taire par pudeur toutes les grossièretés proférées par les policiers en civil lors des interpellations et par le ministre de l’Education Nationale lui-même. Décidément la justice n’est pas la même pour tous ! Dans quel régime politique peut-on ranger un Etat qui méprise et violente ses enfants à ce point ?
Mais les lycéens ne sont pas les seuls à subir les foudres du pouvoir. Nombreux sont les syndicalistes licenciés, condamnés ou privés d’une partie de leur salaire (mise à pied) pour avoir exercé tout simplement leur droit syndical. Le cas des quatre délégués syndicaux de SUD, pour ne citer que ceux-là, traduits par France Télécom devant le conseil de discipline est significatif à cet égard. Chômeurs, faucheurs volontaires d’OGM, militants des droits de l’homme, défenseurs des sans papiers, intermittents du spectacle, responsables associatifs, jeunes des banlieues, ainsi que tous ces anonymes hommes et femmes qui refusent de courber l’échine sont la cible privilégiée de cette répression. De nouvelles pratiques répressives apparaissent sous le règne de Sarkozy. Désormais à chaque déplacement du président, les policiers en civil fouillent et surtout saisissent autocollants, casquettes et autres tracts à tous les manifestants venus montrer leur hostilité à l’égard de sa politique.
Et pour que la répression soit efficace, il faut un contrôle également efficace. La technologie la plus sophistiquée est mise au service de cette surveillance permanente du citoyen. Michèle Alliot Marie veut mettre des caméras un peu partout. Elle veut « tripler le nombre de caméras sur la voie publique, afin de passer de 20 000 à 60 000 d’ici 2009 » (8). Les images obtenues grâce à la vidéosurveillance servent en principe à lutter contre la grande criminalité, terrorisme, mais elles peuvent servir aussi à ficher les militants politiques et syndicaux, manifestants etc. Les drones comme ELSA (Engin Léger de Surveillance Aérien) sont conçus justement pour surveiller les grandes manifestations et les révoltes des jeunes des banlieues. Les prélèvements d’ADN se généralisent et les récalcitrants seront poursuivis. Le fichage des citoyens en général et des militants en particulier par l’administration, la police, la gendarmerie et les RG se banalise. Les fichiers croissent au gré du développement de l’informatique mais surtout au rythme des « réformes » à faire passer. Le STIC (Système de Traitement des Infractions Constatées) et le JUDEX (Système Judiciaire de Documentation et d’Exploitation) deux redoutables fichiers vont fusionner, à l’image du rapprochement de la police et de la gendarmerie (janvier 2009), pour donner naissance à un méga- fichier ARIANE. La création d’une nouvelle direction centrale du renseignement intérieur en juillet 2008 (DST et RG) provoquera à son tour la création de nouveaux fichiers. Ardoise, encore un autre fichier, permettait à la police de noter l’orientation sexuelle des citoyens, leurs croyances religieuses et… leurs appartenances syndicales et politiques. Ardoise est, pour l’instant, suspendu mais pas supprimé. D’autres fichiers, toujours plus efficaces, viendront s’ajouter à ceux qui existent déjà. La multiplication des fichiers, leur connexion et le développement en même temps de la biométrie et de la nanotechnologie peuvent à terme conduire à une surveillance globale.
Comment peut-on appeler, dans ces conditions, une société où le contrôle sur les citoyens tend à devenir total ?
Les sociétés libérales se présentent comme des sociétés où règne la liberté, la démocratie, les droits de l’homme etc. A y regarder de plus près, on constate une réalité bien différente. La répression, la brutalité et la surveillance exercées sur les citoyens, pour ne citer que cet aspect, au nom souvent de ces mêmes valeurs de libertés, de démocratie etc. sont des pratiques bien réelles. Mais elles sont masquées par l’idéologie dominante qui rend ces pratiques supportables.
Mohamed Belaali
http://www.legrandsoir.info/spip.php?article6791