Lucas - "O Jardim da Esperança I ©Laurence Guenoun
Autrefois, la décharge de Gramacho était une fourmilière : des centaines de personnes allaient et venaient, d'énormes sacs sur le dos ou dans des carrioles, dans le sillage des camions charriant 9.000 tonnes d'ordures, tous les jours, en provenance de Rio de Janeiro et de sa banlieue.Tout autour, des cochons gambadaient en famille, cohabitant tranquillement avec des chiens perdus. Regardant au loin la montagne -d'ordures, presque avec tendresse-, quelques catadores étaient incapables de retenir leurs larmes. La décharge allait définitivement fermer. Ils avaient entre 10 et 15 ans quand ils ont commencé à y travailler, à fouiller, à extirpés de ses entrailles les quelques petits trésors enfouis sur 130 ha pour ensuite les vendre à des coopératives : fer, carton, plastique, aluminium. Rien qu'une nuit à trier sur le lieu pouvait rapporter jusqu'à 80 euros environs. Tous travaillaient éclairés à la lanterne. En journée, la chaleur est accablante...Jardim GramachoDans un pays où le salaire minimum mensuel est de 245 euros, des hommes, des femmes et des enfants en oubliaient presque les risques du métier : doigts coupés par les bennes d'ordures, blessures de toutes sortes, infections. Au fil de ses trente-deux années d'existence, Gramacho a attiré 18.000 personnes dans un bidonville dont les alentours ont inspiré une jeune femme photographe et réalisatrice, Laurence Guenoun. "Jardim Gramacho a été une rencontre humaine, avant tout. Lorsque j'ai découvert cette communauté, ce n'est pas la misère qui y règne qui m'a d'abord frappé mais la vie, la générosité, l'espoir, raconte la jeune femme. L'abandon total des autorités brésiliennes a permis de donner plus facilement la parole aux habitants, mais aussi d’apporter un 'regard' aux enfants. ‘O Jardim da Esperança’ était, pour moi, l'espace de parole idéal. J’en suis devenue le vecteur. Cette aventure avec eux a duré un an et demi. Elle se poursuit depuis janvier 2015 à distance ». Un documentaire pour tous les oubliésEn juin 2012, la fermeture officielle de la décharge a laissé derrière elle environ 650 familles de catadores (ramasseurs-trieurs) qu’elle faisait vivre depuis 38 ans. Les ordures y sont pourtant toujours déposées, illégalement, laissant toute une communauté sans ressources, livrée à elle-même dans des conditions sanitaires tragiques.
Kaua - "O jardim da Esperança" I ©Laurence Guenoun
Laurence Guenoun leur a consacré un film de 74 minutes. Fort de témoignages d’une intensité rare, esthétique et frappant le documentaire dévoile toute une population d’oubliés. On y croise, on y partage le regard de personnages attachants, dévoré par cet appétit insatiable de vivre. "Depuis longtemps je voulais réaliser un atelier photo avec des enfants. Cette favela était l'endroit parfait, explique Laurence Guenoun. Les familles sont éclatées, les enfants n'ont pas d'espace d'expression. J'ai donc identifié sept enfants montrant une réelle volonté d'apprendre, doublée de beaucoup de curiosité". Et la jeune photographe leur confie son propre matériel, "un Canon 1DS MIII, équipé d'un 50 mm 1.2. Non, Canon ne m'a pas subventionné !" Chaque enfant s'est approprié la "machine" et durant un an, ils se sont polarisés sur les cadrages, jaugeant ainsi leur quotidien sous un angle nouveau. "Je leur enseignais la technique au fur et à mesure des besoins. La spontanéité de leurs clichés, leurs regards, ont donné lieu à une exposition qui depuis, a commencé le tour du monde". Défendre les "catadores"A Rio de Janeiro, Gramacho accuse un taux de chômage effrayant. Peu de ses travailleurs ont réussi à s’en sortir. Lorsque le site a fermé en 2012, à quelques semaines de la Conférence internationale Rio +20, l’exécutif brésilien avait négocié des indemnisations et des formations pour les recycleurs. Le gouvernement avait même décidé de monter une coopérative pour défendre les droits des "catadores". Aujourd’hui, les autorités et les entreprises n’ont pas tenu leurs engagements. Des formations en vue de reconversion professionnelle devait naître, mais en vain. Les entreprises avaient promis de mettre en place un fonds destiné à réhabiliter le quartier. Elles s’y étaient engagées par écrit. A ce jour, les habitants vivent toujours dans les ordures et s’en nourrissent. Tous ces déchets continuent d’être jetés clandestinement. "O Jardim da Esperança est sélectionné parmi de nombreux documentaires à l'international. A venir, l'Australie, l'Italie, la Martinique, entre autres. Je me bats, je porte le projet à bout de bras pour que la voix de toute une population jaillisse, souhaitant que, par effet boule de neige, leur situation change un jour..." FGInformations complètes relatives à la diffusion de "O Jardim da Esperança" sur le site du FIFE