Samedi, je suis allé au marché à coté de chez moi pour faire copier mes clefs.
Imaginez une rue assez large, et longue d’environ 200 mètres. La chaussée, par endroit est constellée de trous et les rickshaws, qui passent doucement pour les éviter, ont un air de ralenti cinématographique assez éloigné des standards bollywoodiens.
Lorsqu’on rentre dans cette zone, les narines et les yeux sont immédiatement alpagués par les deux premières échoppes, le boucher et le poissonnier.
Afin de limiter la présence de ces dernières, un des attributs du poissonnier est un genre de fouet, ressemblant à celui que les pharaons emportaient dans leur tombe. Il fait tournoyer les lanières au dessus de son étalage, provocant l’envolée massive de la gente ailée, qui se repose presque aussi tôt sur la population ex-aquatique.
Avançons de quelques pas, et nous voila face au boucher. A droite de sa petite cahutte, cinq cages ou s’ébattent des poules qui n’en ont plus pour longtemps, et un vieux coq, pas né de la dernière pluie et sentant probablement sa fin approcher.
A gauche, deux carcasses de moutons servent eux aussi de festin aux mouches.
Avec le maraicher d’à coté, il me semble que la mouche indienne bénéficie d’un apport diététique particulièrement équilibré. Il faudrait que je me renseigne pour savoir si elle est considérée comme une bonne réincarnation.
Au milieu de la rue, la municipalité est entrain de construire un pont.
Pour le moment, seules les piles se dressent fièrement, et prennent la poussière, puisque travaux obligent, le bitume est remplacé avantageusement par un mélange de terre ocre et de grosse pierres.
Je vous laisse imaginer l’état de cet endroit une fois la mousson commencée… Mais nous n’y sommes pas encore, et sous le soleil qui écrase les passants de la rue, il ne fait pas loin de 40 degrés (36 à l’ombre).
Le “key maker” est assis à ce croisement. C’est un vieil homme, décati et recroquevillé sur son établi, quatre ou cinq planches qui tiennent par l’aide de Shiva. Devant lui, il y a six cercles de fils métalliques enserrant une cinquantaine de clefs qui brillent au soleil.
Quand je lui ai demandé de copier mes clefs, il les a longuement regardé, puis les a comparé avec minutie à chaque modèle.
Je ne sais pourquoi, mais il émanait de lui à ce moment là une fierté, une noblesse que je croise très souvent ici, et particulièrement dans cette catégorie là de la population.
Je me suis assis sur le panneau de signalisation et pendant que mon artiste travaillait, j’ai observé autour.
A ma gauche, un étal de légumes jouxte un vendeur de cacahuètes et un réparateur de vêtements qui actionne la grande pédale à pied de sa machine Singer
Trois indiennes, postées derrière une montagne de tomates peignent avec application leurs longs cheveux, tout en s’invectivant à propos de sujet que bien évidemment je ne comprends pas.
Assises par terre, au milieu des épluchures de fruits et les copeaux de cacahuètes, elles n’ont pas réagit à une scène qui m’a un peu remué je dois dire.
Une fourgonnette noire est passée devant moi. Vous vous souvenez des fourgonnette de la police parisienne dans les années 80 ? A peu près ça. Fenêtres grillagées, et quatre ou cinq jeunes types dedans, l’air un peu ailleurs. Et au milieu, allongée sur de nombreuses fleurs, le corps d’une femme âgée, les yeux fermés et les mains jointes.
En France, la mort est cachée, ici elle est naturelle et fait partie du cycle vital. Et les trois indiennes n’ont pas arrêté leur conversation.
Voila, mes clefs sont faites. Et bien sur, les copies ne fonctionnent pas.
Il va falloir que j’y retourne.
Vous venez avec moi ?