Jean-Michel Maulpoix publie La Poésie a mauvais genre, aux éditions Corti.
« Qui citer parmi "les modernes" pour illustrer la perte d’aura du poète et de la poésie ? Jean-Pierre Faye écrivant dans le numéro de Tel Quel de l’été 1965 que le mot poésie est "le plus laid de la langue française" ? Denis Roche affirmant dans Le Mécrit en 1972 que "la poésie est inadmissible, d’ailleurs elle n’existe pas" ? Francis Ponge lançant à la cantonade "la poésie, merde pour ce mot" ou Christian Prigent surenchérissant : "Poésie, c’est crevé ; perle de la pensée bourgeoise, idéalisme absolu, gros mollets rhétoriques, tête au ciel des paradis perdus, sphincters bouchés, obsession du sans-trou". À moins qu’il ne faille remonter plus haut, à celui qui prit ironiquement acte de la destitution du poète, Charles Baudelaire, dans un petit poème en prose du Spleen de Paris, précisément intitulé "Perte d’auréole ».
(…) La modernité poétique abonde en propos grinçants ou cruels qui font grimacer le visage du poète et étranglent son chant… Comment en est-on arrivé à ce retournement qui du plus noble des arts a fait vers le milieu du XIXe siècle un art maudit, puis à la fin du XXe un art inadmissible, et du poète élu "mangeur d’ambroisie » au front naguère touché par le doigt divin, et en qui les romantiques voyaient encore un mage ou un prophète, un objet de blasphème et de moquerie ?
Jean-Michel Maulpoix, La poésie a mauvais genre, éditions Corti, 2016, p.9