Au début je me suis dit : « encore un bouquin d’un mannequin qui raconte son anorexie, et combien c’est difficile le décalage horaire entre deux défilés, et de gagner beaucoup d’argent, le sexe, la drogue, tout ça…» Et puis j’ai entendu Loulou Robert, l’auteur, parler de son livre. Vous allez me dire que c’est fait pour ça, mais ça m’a donné envie. J’ai acheté Bianca. Et je l’ai lu, et j’ai aimé.
Sans doute parce que la femme qui a écrit ce livre a baigné toute jeune dans la littérature, dont elle parle avec amour, sans doute aussi parce qu’elle écrit vrai, avec ses tripes et le reste, tout en en gardant un petit peu sous le pied quand même. Par pudeur et modestie parce qu’elle sait qu’à 22 ans, on ne sait pas tout encore de la vie et que la vie justement s’apprend tout le temps jusqu’à ce qu’on n’en ait plus envie. Son personnage, Bianca, justement n’a plus envie. Elle se laisse mourir d’abord à petit feu, puis prend les choses en mains et se taillade les veines. Urgence et hôpital psychiatrique. Sans doute parce que la description des Primevères, l’institution psychiatrique où se déroule l’essentiel du roman, a fait remonter des souvenirs pénibles et douloureux de visites dans un lieu similaire : odeur de désinfectant et de cantine, bruits ouatés et chuchotements soliloqués, séances de monologue face à un mur, visions d’errance mentale, marches de zombies dans des jardins gris, envie d’évasion. C’est dans cet espace confiné, privée de liberté et d’elle-même que Bianca essaie de se reconstruire. D’abord sans le savoir. Elle s’interroge, sur la vie, la mort, l’amour, Dieu. Elle se sent différente, elle voit sans voir, vit sans vivre. Elle a perdu le sens. Sans boussole, dans des ténèbres opaques, elle cherche. Ses parents ne s’aiment plus. Pas d’amis. L’école, pour quoi faire ? Seul son petit frère, Lenny, la raccroche à la vie dans l’autre monde et à l’envie de sortir un jour, de sortir au jour. Sans doute aussi parce que dans ce roman, il y a l’amour, qui passe, repasse, revient. Bianca rencontre Jeff, vieux dépressif espiègle, emporté par un cancer, figure du sage. Raphaël, patient comme elle, à la folie passagère. Juliette, 12 ans, suicidée dans une piscine. Et surtout Simon, tendre et violent, direct, coquin et franc, dont Bianca tombe follement amoureuse parce qu’il la regarde et la trouve belle malgré ses creux au corps et ses bosses à l’âme. Bianca parfois sort d’elle-même, se regarde de loin, s’ignore puis se reconnaît, se reconnecte. Avec la mort du sage revient le goût de la vie.
« Je touche ma poitrine et sens le petit trou entre mes seins. Celui-là se cache, il résiste. Chaque gramme le fait frissonner. Ses copains disparaissent peu à peu. Un à un, ils se comblent, se rebouchent. Remplis d’histoires, de jus d’orange, de rencontres, de Jeff, de Simon, de yaourts nature, d’explosions, de baisers, d’amour. Un nouveau est apparu avec toi, Jeff. Dans mon cœur, celui-là reste. Je regarde mes poignets. Les cicatrices se sont refermées. Je vais mieux. Guérie ? Non, ça fera éternellement partie de moi. J’ai grandi avec toi, mais aujourd’hui tu ne m’empêcheras plus d’avancer. C’est ça la guérison. Quand il y a plus de jours heureux que de jours tristes. Maintenant je l’ai compris, je me sens prête. »Et Bianca a raison. La maladie mentale est comme un voyage : on ne revient jamais vraiment puisque le voyage nous a changés. Il faut bien l’accepter puisque nous avons tous, comme disait Sir Winston Churchill, « un gros chien noir qui pèse sur notre épaule », et parfois il aboie. Le plus souvent il faut lui tenir la laisse courte, et le nourrir de petits bonheurs au quotidien. Alors il se calme.Bianca, Loulou Robert
Editions Julliard, Paris 2016, 294 pages.