SOS Azulejo !

Publié le 14 juin 2008 par Chantal Doumont

SOS Azulejo contre la disparition de pans entiers du patrimoine portugais…

Chaque année, des milliers voire dizaines de milliers d'azulejos, symbole du patrimoine portugais, sont dérobés dans les églises, les palais ou simplement sur les façades de Lisbonne, alimentant un marché parallèle que la police peine à combattre. 

Du carreau de céramique décollé par un touriste en mal de souvenirs au panneau figuratif du 18e siècle dépeignant des scènes religieuses ou de la vie quotidienne et estimé à plusieurs dizaines de milliers d'euros, le vol d'azulejos s'est considérablement développé ces dernières années. 

"Depuis 1990, on a assisté à une explosion des vols avec des pics en 2001-2002 et 2006, avec plus de 10.000 azulejos déclarés volés par an", explique Leonor Sà, conservatrice du musée de la Police judiciaire. 

"Mais les plaintes ne concernent qu'une infime partie de ce qui est volé. La perte pour le patrimoine est colossale", affirme Mme Sà, à l'origine du projet "SOS Azulejo" lancé en février par la PJ et qui comporte notamment un site www.sosazulejo.com présentant des photos d'azulejos volés. 

"Trois semaines après l'ouverture du site, j'ai découvert que j'avais en ma possession un panneau volé dans un palais de Lisbonne en 2001", témoigne Manuel Leitao, antiquaire réputé, spécialisé en azulejos portugais. 

Le panneau bleu et blanc, constitué de quelque 70 carreaux peints de 14 cm de côté, représente une scène de marine à voile. "Il m'avait été vendu par un homme disant l'avoir hérité de son père. C'est imparable. Nul n'est à l'abri de ce genre de choses, même en prenant toutes les précautions requises", affirme M. Leitao.

Pourtant, "voler des panneaux de céramique du 18e siècle, comptant parfois des centaines de carreaux, ce n'est pas voler une voiture, estime Joao de Oliveira, coordinateur de la brigade des oeuvres d'art à la direction nationale de la PJ. Il faut des moyens, des connaissances, du personnel qualifié. Et c'est cette spécificité du vol d'azulejos qui laisse penser qu'il existe une criminalité organisée." 

"Quand des milliers d'azulejos sont volés dans une église fermée dont les murs entièrement recouverts font 6 à 7 m de hauteur, nous savons bien que ce n'est pas le fait d'un vulgaire voleur de circonstance", souligne-t-il. 

"Il est vrai que certains azulejos sont volés par de petits toxicos, qui en décollent une douzaine pour les vendre aux brocanteurs et se payer une dose. Mais les grands ensembles ne sont pas volés par eux", ajoute le policier, qui se dit "convaincu de l'existence d'un marché parallèle". 

"La recherche +portuguese tiles+ (en anglais) sur internet est édifiante. Notre problème, c'est que si le vendeur est inscrit à Singapour, on ne peut rien faire. On sait qui c'est, mais ça ne suffit pas. Il faut le prouver!", souligne-t-il. 

"On n'arrivera à rien sans une prise de conscience des pouvoirs publics, des propriétaires privés mais aussi des citoyens, de la richesse de leur patrimoine et de la nécessité de le préserver", insiste-t-il. 

"Il y en a tellement, soupire Leonor Sà. Les Portugais naissent dans des hôpitaux décorés d'azulejos, vivent derrière des façades d'azulejos, se marient dans des églises couvertes d'azulejos et même parfois dans certains cimetières, on trouve des azulejos, ils n'y font plus attention!". 

"Il y a plus d'azulejos à Lisbonne que dans le reste du monde entier", confirme José Meco, historien d'art et expert mondial de l'azulejo. "Mais ce qui fait son importance dans notre culture, c'est son utilisation extraordinairement intensive sur la durée -- cinq siècles-- et son exceptionnelle articulation avec l'architecture". 

"Le dessin, la couleur, la composition, la forme des azulejos sont conçus pour des espaces déterminés, et c'est ce qui fait leur richesse et ce qui rend le pillage, même de quelques carreaux, si préjudiciable", ajoute-t-il.

AFP