La suppliante et autres textes, de Bastien Fournier

Publié le 02 avril 2016 par Francisrichard @francisrichard

Ce livre est le 24e volume de la collection Théâtre en tête des éditions Lansman. Il comprend quatre pièces de Bastien Fournier:

- La suppliante en deux versions, une version originale qui n'a pas été montée à ce jour et une version pour trois comédiennes qui va être créée le 14 de ce mois au Théâtre Les Halles, à Sierre, par la Compagnie du Homard

- Phaidra qui a été créée le 19 janvier 2012, aux Caves de Courten, à Sierre, par le Théâtre du Brandon

- Les Africaines qui n'a pas été montée à ce jour

- Une femme sur un balcon qui a été créée le 13 septembre 2012 au Théâtre Les Halles, à Sierre, par la compagnie Le Crochet à nuages

La suppliante, dans ses deux versions, met aux prises trois femmes: une mère et sa fille, et une autre femme, la suppliante, une clandestine, une étrangère, qui demande aux deux premières d'être hébergée, avec son enfant. La fille, qui n'a pas eu d'enfant, ne veut pas en entendre parler. La mère au contraire fait parler son coeur, à la grande fureur de sa fille qui invoque la loi et menace. Ce sont les prémices d'une tragédie...

Lors de leur dispute, la mère s'adresse à sa fille en ces termes:

Quand tu es née, le premier jour, quand tu es sortie de moi, n'étais-tu pas une étrangère toi aussi? Pourtant je t'ai nourrie, j'ai passé des nuits sans dormir et des soucis m'ont dévorée. Ce que j'ai fait pour toi, pourquoi refuses-tu que je le fasse pour une autre?

Phaidra reprend le thème de Phèdre, qui, son époux Thésée disparu, tombe amoureuse de son beau-fils Hippolyte. Dans la pièce de Racine, Hippolyte ne succombe pas aux charmes de Phèdre et Thésée, en fait, n'est pas mort. Dans celle de Bastien Fournier, le père est mort, d'une mort claire-obscure, et le fils partage le lit de sa belle-mère. A mesure que celui-ci devenait homme, du fait de sa grande ressemblance avec son père, il prenait peu à peu sa place quand elle songeait à son géniteur:

Lui: Qu'avons-nous fait?

Cette nuit, tu as dit que tu m'aimais.

Elle: C'est peu dire. Cette nuit je t'adorais.

Lui: Et maintenant?

Elle: Le soir finit toujours par venir.

Le jour finit toujours par s'éteindre.

Les Africaines est un texte inspiré par le Chant IV de l'Enéide de Virgile. Didon et Enée y sont des amants oublieux d'une plus grande gloire. C'est leur grand tort. Mercure, envoyé par Jupiter, rappelle ses devoirs à Enée: il doit se rendre en Italie, dont le royaume est dû à son héritier, Iule. Didon, folle amoureuse d'Enée, n'accepte pas qu'il s'en aille. Chez Fournier le ton est moins emphatique, la Rumeur remplace la Renommée, et il n'est point d'autres dialogues qu'entre Didon et sa soeur, Anna, :

Anna: Il faut un homme dans ton lit.

Didon: L'homme qui dormait dans mon lit -

Anna: ... est mort. Emploieras-tu, seule et versant tes plaintes, toute ta jeunesse à te consumer dans son deuil ? (Un temps) Un autre est venu.

Didon: Un étranger.

Anna: Nous étions étrangères en Afrique.

Didon: Un fugitif. Un fuyard.

Anna: Nous ne l'étions pas moins.

Une femme sur un balcon jette son enfant dans le vide. Elle est touchée par deux balles tirées de loin par des policiers encagoulés. Pourquoi a-t-elle fait cela? A-t-elle tué son mari? N'a-t-elle pas dit qu'il était parti et que s'il ne revenait pas, elle jetterait son enfant sur le sol? Au fait, l'a-t-elle jeté avant d'être touchée par les balles ou après? C'est, des années après, ce que se demande et ce que lui demande la policière venue la réinterroger:

Femme 2: Tu as dit d'abord que c'était en même temps.

Femme 1: Tu as insisté: "Avant ou après?" Tu disais: "Avant ou après?"

Femme 2: Tu as dit que c'était avant.

Femme 1: Tu m'as demandé si j'en étais sûre.

Femme 2: Qu'est-ce que tu as répondu?

Femme 1: J'en étais sûre.

Femme 2: Dans mon rapport, j'ai noté que tu n'avais lâché l'enfant qu'après avoir entendu la déflagration.

Femme 1: C'était un mensonge.

Femme 2: Oui.

Dans ces quatre textes, la langue est sobre, sans fioritures. L'auteur va à l'essentiel. Chaque mot semble pesé: rien de ce qui est dit n'apparaît donc inutile. En somme le style est épuré. De plus, aucun de ces quatre textes, aussi bien les deux inspirés par des mythes de l'Antiquité que les deux inspirés par des drames contemporains, n'est vraiment daté si l'on excepte quelques détails qui ne relèvent que du décor.

Si ces quatre textes sont bien situés dans le temps, ils sont donc cependant intemporels. Ce qui donne sa cohérence au volume qui les rassemble et leur universalité aux mondes qu'ils recréent. Le parti pris de ne pas donner de noms propres aux personnages, sauf aux Africaines Didon et Anna, rendues déjà symboliques par Virgile, exprime la volonté délibérée d'en faire des archétypes. Ne devrait-ce pas être l'ambition théâtrale?   

Francis Richard

La suppliante et autres textes, Bastien Fournier, 98 pages, Lansman Editeur