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SEAT a-t-elle eu la pire idée musicale du moment ?

Publié le 01 avril 2016 par Jeanne Walton

La marque organise un concours international pour créer son jingle dans des conditions pour le moins douteuses. Scandale ou pas scandale ?

Au premier regard, c’est une idée réjouissante. La marque SEAT lance un concours international, nommé MUSICATHON, pour créer sa nouvelle signature musicale, son jingle, son logo sonore, bref le son de sa marque. Et tout le monde peut participer. SEAT propose un processus qui allie pour le vainqueur voyage à Berlin puis en Californie avec – c’est ce que l’on croit comprendre – le soutien de professionnels de la musique et du marketing. Chouette, se dit-on. Pas sur du tout.

seat-musicathon

Comme pour n’importe quel concours, on en vient vite à regarder ce qu’il y a à la clé. D’autant que SEAT l’affiche en gros «  D’incroyables prix à gagner ». Logique : faire la musique d’une marque internationale, qui fait beaucoup de publicité, qui a une grande notoriété, ça a de la valeur, beaucoup de valeur. Le travail en a. Et on imagine vite le vainqueur se frotter les mains en ce qui concerne ses droits. Logique. Pas pour SEAT.

La marque, qui demande dans le cadre du concours une première création sur le thème de la ville de Barcelone puis une deuxième création dédiée à sa marque, prévoit comme unique rétribution 2 000 €. Point à la ligne. Si si, 2 000 €. Est-ce que c’est ce qu’ils attendent comme valeur pour la musique de leur marque ? « C’est un poisson d’avril » écrit sur la page Facebook de SEAT Bertrand Cyprik, professionnel du secteur et patron de l’agence bordelaise Dessine moi un son. Il y a comme un gros souci ici. Faut-il rappeler à SEAT qu’en 2013, elle a consacré environ un million d’euros pour la refonte de son identité visuelle réalisée par l’agence LANDOR, propriété du groupe britannique WPP. Mais pour le son, ce sera donc un poil moins. Un gros poil alors…

Cette histoire met tout le monde dans l’embarras

2000 €, ce n’est clairement pas flatteur pour les musiciens. C’est même plutôt misérable mais le vainqueur pourrait se rattraper sur les droits – pourrait-on croire… Euh, non. Le règlement le précise : « Les participants désignés vainqueurs du SEAT MUSICATHON accordent à l’Organisateur la propriété de leurs créations musicales MUSICATHON et de toutes leurs composantes, telles que les paroles et la mélodie, ainsi que tous les droits de propriété industrielle et intellectuelle les concernant. » Comment dire ? Scandaleux, non ? Légal ? A voir…

Nous avons sollicité un entretien auprès de la direction marketing de SEAT mais à ce jour, c’est silence radio. Nous savons que plusieurs syndicats et organismes professionnels ont été alertés par des musiciens.

Nous avons sollicité des professionnels du secteur et le moins que l’on puisse dire c’est que cette histoire met tout le monde dans l’embarras. Personne ne veut s’exprimer officiellement. SEAT est une grande marque appartenant à un groupe puissant, VOLKSWAGEN, que personne ne veut heurter. En off, les langues se délient et les mots ne manquent pas de mordants pour déplorer une opération au minimum douteuse au pire qui réduit la valeur de la musique à pas grand-chose.

Un SEAT musicathon avec de graves questions légales

Nous avons également sollicité deux avocats, notamment au regard du règlement. Là encore pas de réaction officielle, mais des informations intéressantes sous couvert d’anonymat. Le premier avocat sollicité est catégorique. En l’état, le règlement est problématique sur au moins deux points. Premier point très pragmatique faisant suite à de nombreux messages que des lecteurs nous ont adressés : Un musicien, membre de la SACEM, ne peut pas prendre part à ce concours selon les règles édictées par SEAT. En effet, les conditions de transfert de propriété, que l’avocat juge discutables en droit français, sont clairement contraires aux Statuts de la SACEM. Exit donc les 150 000 membres parmi lesquels ne se trouvent pas que des stars mais aussi les amateurs éclairés qui veulent protéger leurs travaux et être respectés. Deuxième point : la rémunération de la cession. Une cession de droit doit trouver une contrepartie financière claire et identifiable. Or, le règlement est confus. « Le prix d’un concours gratuit, ce n’est pas une contrepartie financière à une cession de droits ». En l’état, la validité de la cession de droit serait discutable. « C’est génant, d’autant qu’en cas de litige, un jeune créateur sera vite noyé sous la procédure et les frais qu’elle engendre face à un mastodonte comme VOLKSWAGEN ». A bon entendeur.

Le deuxième avocat évoque un « flou gênant », lié au droit applicable. Le règlement précise que « Les litiges et réclamations liés à l’interprétation ou à l’exécution de ce Règlement sont régis par la loi espagnole et relèvent de la compétence des cours et tribunaux de la ville de Barcelone. ». S’il admet qu’il faudrait consulter un avocat catalan, il lui semble qu’un règlement de jeu concours n’a pas valeur de contrat de cession. Or, « dans toute l’Europe, la formalisation d’un contrat est nécessaire à une cession valide, et viendra bien un moment où il faudra formaliser ». Bref, le pire n’est peut-être pas derrière nous.

Dernier point, nous avons sollicité une réaction à ce drôle de règlement de l’artiste qui parraine l’opération, « The Avener ». Pas de reponse. Son label nous renvoie vers Universal. Nous avons donc sollicité Universal, qui est partie prenante en sa qualité de maison mère du label Abbey Road, partenaire du concours mais qui représente aussi les intérêts du musicien The Avener qui parraine le concours pour la France. Malaise. « Nous n’avons pas été informé des règles  du concours, nous n’avons prété attention qu’aux clauses qui nous concernent. » Si Universal comprend que l’on puisse s’interroger sur le sujet, on nous invite à prendre contact avec le département juridique de Seat en Espagne, qui serait à l’origine du règlement. Chose faite. On s’interroge quand même sur un point. Est-il astuscieux qu’un jeune artiste s’associe à un concours qui dévalorise tant la création musicale et le travail d’un jeune talent ? The Avener soutien-t-il vraiment cette démarche qui consiste à dire que la propriété intellectuelle d’un créateur peut appartenir pleinement à une marque, sans qu’il ne puisse rien en tirer ? On a connu des associations Artiste – Marque mieux ficellées.

On n’est peut-être qu’au début d’un feuilleton Musicathon, mais tout cela débute mal. Les jeunes musiciens seront toujours contents d’avoir le soutien des marques mais ils ne demandent pas la charité. Ils veulent être respectés et aimés.

publié le 01/04/16

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