(notes sur la création) Jim Harrison

Par Florence Trocmé

« Quand je me sens vulnérable, j’aime prendre ma voiture et partir vers une ville lointaine, distante d’au moins quelques centaines de kilomètres des trois modestes lieux où vit ma famille ; là, j’aime descendre dans un motel banal et quelque peu déprimant en ayant l’agréable conviction que je ne connaîtrai pas âme qui vive dans l’annuaire téléphonique local. Et que mon propre téléphone ne sonne pas, sinon en cas de malheur, car mon épouse sait très bien pourquoi j’affectionne ces chambres anonymes. Là, je me dépouille de mes systèmes de survie et il y a de fortes chances qu’au bout d’un jour ou deux je découvre l’étiologie de ce qui me tracasse, sans jamais oublier que la vie examinée à la loupe ne mérite pas d’être vécue.
Le plus souvent, rien de particulier ne me tracasse, du moins rien qui ne soit aussitôt rectifiable, rien d’autre que le besoin de faire un pas de côté loin de ma vie pendant un ou deux jours et de marcher en pays inconnu. Peu après l’aube, équipé d’une carte de la région, je me promène dans les champs déserts, les canyons, les bois, mais de préférence près d’un torrent ou d’une rivière, car depuis l’enfance j’aime leur bruit. L’eau vive est à jamais au temps présent, un état que nous évitons assez douloureusement. J’ai toujours privilégié les lieux sans qualité pour des raisons d’anonymat. Et que l’on soit en pays inconnu, même, modestement inconnu, hausse le niveau de l’attention, peut-être pour des raisons inconnues. Qui vient ici ? Pas grand monde.
C’est de cette manière que j’ai toujours découvert les idées et les images qui engendrent ma poésie, mes longues nouvelles et mes romans. »
Jim Harrison,En marge, Bourgois, 2003

Jim Harrison vient de mourir, ce 26 mars 2016, en Arizona.

Choix d'Isabelle Baladine Howald