2058 – Entre Saturne et Jupiter, au cœur des jeunes États les plus prospères de la Fédération des Terres Unies, la troisième flotte de l’United Earthes Force veillait inlassablement sur la périphérie du système solaire. Elle assurait par son gigantisme un incroyable sentiment de sécurité à ses habitants.
Mais LE MUR est apparu.
Si grand, si sombre.
Insondable.
C’est à une escadrille d’officiers en cour martiale qu’échoit la périlleuse mission d’en percer les secrets… Et ce sera au péril de leurs vies.
Ici commence la Première Guerre Universelle.
Il y a dix ans maintenant, depuis la parution du sixième et dernier volume de cette série dont le premier sortit huit ans plus tôt, qu’Universal War One compte parmi les grandes réussites de la science-fiction sur le média de la BD francophone – et peut-être même de la BD tout court. Avec son scénario échafaudé dans les moindres détails, ses personnages plus ou moins sociopathes et son intrigue maîtrisée à la perfection, cette œuvre-phare de Denis Bajram rappelle à bien des égards le monumental Watchmen (1986) d’Alan Moore et Dave Gibbons. Quant au thème toujours délicat du voyage dans le temps, il s’orchestre ici sans aucun paradoxe, rejoignant ainsi les grands textes du genre comme le célèbre Vous les zombies (Robert A. Heinlein, 1959).
Bien sûr, école franco-belge oblige, on ne trouve pas ici cette maîtrise de la prose typique de Moore, qui enrichit la partie artistique de manière fondamentale avec des textes illustrant les pensées des protagonistes et qui contribue de façon décisive à l’immersion du lecteur. De même, on peut regretter que la partie documentaire, faute d’un meilleur terme, qu’on trouve à la fin de chaque chapitre de Watchmen ne prend ici que deux pages car on aurait apprécié d’en savoir plus sur cet univers, même si celui-ci se montre somme toute assez classique. Il y a par contre une certaine dimension politique dans cette dénonciation du rôle des multinationales sur la scène internationale que chacun de nous connaît bien à présent.Mais il ne s’agit pas de faire un faux procès à UW1, car toute sa force se trouve bel et bien dans son orchestration, montrant ici une maestria beaucoup trop rare, d’un des thèmes qui comptent à la fois comme les plus répandus et les plus difficiles à maîtriser de la science-fiction. D’abord parce qu’il s’agit d’un des plus anciens du genre et qu’on en trouve des exemples plus qu’à foison, de sorte que parvenir à se montrer original relève déjà de l’exploit ; ensuite parce que la structure même des récits de voyage dans le temps, d’une malléabilité sans aucune mesure avec celle des autres thèmes principaux du genre, augmente considérablement les probabilités de générer une incohérence, ou paradoxe – inutile de citer des exemples…
Bajram navigue donc sur ces eaux capricieuses en parvenant à éviter ses deux principaux récifs, ce qui pousse déjà à l’admiration, et s’il ne renouvelle pas le thème du voyage dans le temps en le poussant vers une nouvelle évolution, comme le firent en leur temps Poul Anderson (1926-2001) avec ses récits de La Patrouille du temps (Guardians of Time, 1960), et Isaac Asimov (1920-1992) dans La Fin de l’Éternité (The End of Eternity, 1955), il illustre malgré tout à merveille un concept très peu utilisé : le continuum espace-temps comme un tout cohérent, où le temps totalise tous les voyages y ayant eu lieu au moment du récit ainsi que tous ceux qui y auront lieu à l’avenir.
Formulé autrement, aucun personnage ne modifie quoi que ce soit. Tous obéissent de fait à une histoire déjà écrite et sur laquelle leurs plus petites décisions s’inscrivent en réalité dans un ordre naturel des choses qu’ils ne peuvent impacter puisqu’ils en ignorent les tenants et les aboutissants. Pour paraphraser Ursula K. Le Guin dans son très recommandable La Main gauche de la nuit (The Left Hand of Darkness, 1969), nous ne sommes libres de nos actes que tant que nous en ignorons les conséquences – ou encore : connaître son futur revient à perdre sa liberté. Ainsi l’antagoniste du récit, pour sa folie autodestructrice, ou quelque chose de cet ordre, rappelle beaucoup le personnage d’Ozymandias dans le Watchmen déjà cité.
Outre que le récit exposé démontre des qualités scénaristiques rarement égalées, un tel postulat présente aussi le mérite d’éviter de recourir à l’astuce toujours un peu facile, sinon franchement douteuse de l’univers parallèle contenant une autre version de l’histoire connue : ce genre de procédé narratif ne convainc plus personne depuis longtemps, et surtout pas un connaisseur du genre, d’une part, et d’autre part il paraît tout de même pour le moins ardu de concilier avec les lois physiques l’idée d’un univers qui se dédouble tout entier à chaque décision de ses habitants, soit à chaque seconde au moins, et d’autant plus que chacun de ces doubles devrait en enfanter un autre à la même allure lui aussi – Lavoisier (1743-1794) ne me contredira pas.Il y a dix ans, donc, qu’UW1 trône au panthéon de la BD de science-fiction. Si grand, si sombre, et presque aussi insondable que ce MUR à partir duquel se déploie un récit hors normes où des personnalités tordues s’affrontent dans un monde au moins aussi malade. Le succès critique se doublant du commercial, cette courte série engendra un rejeton, Universal War Two, dont le premier tome sortit il y a trois ans.
Mais ceci, comme il se doit, est un autre voyage…
Universal War One, Denis Bajram, 1998-2006
Quadrants, collection Quadrant Solaire
72 pages, env. 15 €, 6 volumes
– le site officiel de Denis Bajram
– le site officiel de la série