La revue Il particolare (toute française malgré
ce joli nom italien, voir cette note de présentation) n’est sans doute pas parmi les plus
connues mais c’est à mon sens une des plus remarquables, notamment du fait de
sa grande régularité dans la qualité et par les cahiers qu’elle consacre régulièrement
à des auteurs ou des artistes (on peut citer par exemple Arno Schmidt pout le
numéro 12.13.14 ou Mathias Pérez pour le numéro 15.16).
C’est avec grande impatience que Poezibao attendait cette nouvelle livraison puisque le dossier de
ce numéro 17&18 est consacré à Patrick Beurard-Valdoye.
Composer un dossier sur un écrivain dans le cadre d’une revue, on sait que l’exercice
est difficile. Et c'est un vrai bonheur de découvrir ici tant de grands
lecteurs de Patrick Beurard-Valdoye
(mais je pense qu’il suscite les bons lecteurs, certes trop rares, mais passionnés
et particulièrement aptes à faire
partager leur admiration pour cette œuvre très importante)...
Ils sont dix-sept, dix-sept auxquels il faut ajouter Pierre Alechinsky et
Dimitry Orlac pour les dessins et Bernard Loiseau pour les photos.
Impossible donc de détailler chaque contribution, mais je voudrais cependant m’arrêter
sur certaines d’entre elles.
Ouverture en fanfare avec un beau poème de Jean-Luc
Nancy évoquant ces « Langues charriées à grande flottaison/ A l’allure
de bois flottés » si caractéristiques du travail de Patrick
Beurard-Valdoye.
C’est d’ailleurs à ce travail sur la langue que nombre de contributeurs sont
particulièrement sensibles, par exemple Jean-Pierre
Bobillot qui démontre comme le poète se fait « scribe de tout ce qui
se narre, ou tente de se narrer, une dernière fois, peut-être, de témoignages
oraux en registres de bibliothèques, avant de disparaître, par les interstices
ou les oubliettes de la grande Narration publique, normée, admise. » (On
peut lire aussi sur le site, tout récemment publié, le cinquième des entretiens infinis avec Patrick
Beurard-Valdoye).
Ce qui frappe aussi dans ce dossier, c’est le nombre et la qualité des
contributions étrangères, ce qui renvoie bien sûr au travail d’arpenteur et d’explorateur
des exils et des frontières que poursuit inlassablement l’écrivain. Belle
rencontre dans ces pages avec Ulrike
Draesner découvrant les strates du travail de Patrick Beurard-Valdoye, qui « par-dessus
le réseau visuel qu’il trouve (déjà là) dans un "paysage", pose un
double réseau de mots et d’images ponctuelles issues d’autres lieux ».
Devenant ainsi un « donneur d’images, quelqu’un qui travaille sur des
images qu’il rend visibles, faites de choses vues et pensées » et qui font
« éclater le temps ».
Après une réflexion de Joseph Mouton
sur les noms, voici celle d’Alain
Frontier expliquant que « l’aventure poétique consiste dans le rapport métonymique qui relie l’histoire
à l’espace », dans ces textes où « les noms comme les choses
foisonnent », allant jusqu’à « ramper clandestinement entre les
barbelés de l’Histoire (des prisonniers de la Grande guerre à l’exécution du
facho Laval), dans les zones frontalières (dangereuses) », là où se vivent les
« passages problématiques d’un bord à l’autre, d’une langue à l’autre ».
Très belle et émouvante contribution de la poète Elke de Rijcke, un poème qui évoque une itinerrance commune au pays
noyé de Saeftinghe.... « déjà dans le temps vous enfoncez le pied ».
Itinerrance, titre du livre sur
lequel revient Pierre-Yves Soucy qui
retient notamment que ce travail ne se fait « au nom de personne, au
service d’aucune cause instrumentalisée, l’auteur ne s’associant qu’à la
perspective d’exclure toute exclusion », qu’il n’est jamais ici question d’une
« simple affaire de forme, de recherches formelles » mais de « creuser
l’événement, les brèches des évènements », ce qui est aussi « creuser
la langue, en portant préjudice aux porteurs de paroles affûtées en verbalisme
de prétextes, en rhétorique de chemin de fer » !
Et si l’on regarde la théorie des noms des autres signataires, on découvre qu’ils
viennent d’Amsterdam, de Belfast, d’Helsinki... démontrant une fois encore que
la plupart des projets de Patrick Beurard-Valdoye sont basés, très
concrètement, sur « l’itinéraire et la migration, sur le repérage de
terres inconnues ou étrangères, sur l’enquête et le témoignage » comme le
dit le poète lui-même dans un entretien avec deux plasticiens, Christophe Berdaguer et Marie Péjus.
On pourrait continuer encore à extraire et citer de nombreux passages de ce
très remarquable dossier, qui propose maintes clés de lecture pour l’œuvre foisonnante
de Patrick Beurard-Valdoye. Et nul doute, c’est un signe, que ce numéro de
revue ira se ranger tout naturellement auprès des livres de Patrick qu’il me
semble accompagner magnifiquement.
Terminer en évoquant la contribution de Pierre Le Pillouër, non seulement pour son intérêt intrinsèque mais
parce que sans l’obstination de ce dernier l’œuvre de Patrick Beurard-Valdoye n’aurait
peut-être jamais été publiée. Pierre a porté en son temps Diaire qui « recrée-ressuscite-revisite-revitalise le Genre
épique à l’ère de la démocratie, d’où son refus de toute mythification, sa
volonté de chanter les destins (forcément pluriels) du collectif et sa mise en
gestes de chroniqueur (intermé-diaire) en formation de non-combat. ».
Le dossier se clôt par quelques pages d’extraits du livre sur lequel P.
Beurard-Valdoye travaille actuellement, Gadjo-migrant,
nouveau volet de son grand "Cycle des Exils" et par une émouvante
lettre de Claude Ollier : « peut-être
inventez-vous là l’Histoire poétique, plus vraie que l’autre, une poétique de l’Histoire
en tout cas, par ses correspondances, ses bifurcations, ses raccourcis, ses
épanchements ».
Retenir ici tout particulièrement le terme de correspondances qui rend bien
compte de la pluralité des mondes mais aussi de l’unité de l’œuvre de Patrick
Beurard-Valdoye.
©florence trocmé
Il particolare, n° 17 & 18 - 2007 ;
cahier Patrick Beurard-Valdoye
Art- littérature. Théorie critique.
Abonnements, 2 numéros, 35 €, quatre numéros, 62 €. Le numéro, 22 €
1, rue de Lorraine - 13008 Marseille.