Michel GOGNY-GOUBERT,
un adepte du « Réalisme poétique » en PHOTOGRAPHIE
EXPOSITION Galerie Michèle CAZANOVE, GOSIER, des 7 et 8 Avril 2016.
« Il paraît qu’en latin « photographie » se disait « imago lucis opera expressa », c’est-à-dire image révélée, « sortie », « montrée », « exprimée […] par l’action de la lumière ».
Roland BARTHES, La Chambre claire. Note sur la photographie,
Paris, Gallimard, coll. « Cahiers du cinéma », 1980, p. 127.
Si Michel Gogny-Goubert ne dévoile qu’aujourd’hui une partie de ses œuvres, son intérêt pour la photographie est très, très ancien. Pourquoi ce « scientifique », libéré de ses contraintes professionnelles, ne pourrait-il aujourd’hui s’inventer une autre identité et se rêver « artiste » ?
Désormais Michel Gogny-Goubert a opté pour le numérique. Mais reste attaché à une pratique photographique de type artisanale, celle du « tout main », depuis les prises de vues jusqu’aux agrandissements et encadrements, en passant par les impressions sur papier. Michel Gogny-Goubert est un perfectionniste qui ne s’interdit pas d’avoir recours aux possibilités offertes par la technologie moderne, tout en refusant délibérément les trucages. Esprit scientifique, il aime la précision quasi chirurgicale. Mais parce qu’il est aussi un être sensible il poursuit un idéal dans lequel la Beauté réside dans ce supplément –certains diront « d’âme »- que l’homme apporte à la restitution du visible. Un Idéal que les Grecs nommaient poïesis, et que nous appelons création artistique.
Les deux séries que l’on peut voir, bien que très différentes l’une de l’autre, rendent compte de la réalité avec une attention allant jusqu’à la restitution des plus petits détails. De familier qu’il était, notre univers une fois passé par le regard de ce « Voyant » en ressort empreint de mystère. Détachées de l’actualité, et quasiment hors du temps, ses visions nous parlent néanmoins de notre monde contemporain. Un monde en proie au chaos. Un monde où la possible harmonie de l’homme avec la nature n’est plus qu’un mythe lointain. Ainsi, ne peut-on voir dans les combats de coqs de la série « Pitts à coqs » la métaphore de la violence actuelle ? Quant aux « vues » que nous offre la série « Vertigo » ne sont-elles pas l’illustration parfaite de ce rapport que la photographie entretient avec la mort et qui, selon Roland Barthes, relève du « ça a été » ? Indéniablement séduit, l’observateur est déstabilisé, peut être même troublé. En effet, le traitement des photographies semble relever de deux esthétiques que tout oppose, le Réalisme et le Poétique. En résulte un climat de tension susceptible d’engendrer, à son tour, un état d’« intranquillité ». Confronté au « réalisme poétique », l’observateur se voit contraint d’adopter une démarche qui s’apparente au processus de la « révélation » propre à l’image photographique. Il lui faudra dépasser les apparences en « traversant le miroir » pour tenter de pénétrer dans un univers étrange en proie à une « inquiétante étrangeté », un univers sur-naturel.
Pitt à coq 9 – 2
Des « Pitts à coqs » à leur transcendance.
Rien de plus prosaïque que le sujet des pitts à coqs. A l’image de la corrida et des combats de chiens, le combat de coqs est un jeu populaire et trivial. Désormais interdits en France, ces combats, tolérés en Guadeloupe, Martinique et à La Réunion comme élément de culture, demeurent néanmoins terriblement cruels. Jeu d’argent, le combat de coqs est aussi une façon d’exorciser sa peur de la mort. Il met symboliquement en scène la condition de l’Homme, contraint de livrer un combat à mort pour sa survie. Pour autant, photographier ces combats n’est pas anodin. Surtout lorsque le photographe s’avère avoir été vétérinaire…
Comment alors dépasser le dégoût et la compassion éprouvés ? Comment élever un tel spectacle au niveau du sublime afin qu’il suscite l’admiration ? Tentons d’entrevoir les choix ayant présidé aux « captures d’images » de Michel Gogny-Goubert.
Commençons par ce qui est montré. Elles permettent de dérouler la chronologie d’un « match ». Depuis la présentation de l’animal, sa préparation avec l’équipement d’une lame, la confrontation des deux coqs, leurs tentatives pour impressionner l’autre, les attaques suivies de leurs ripostes, jusqu’au terrassement final. Mais il y a aussi ce qui ne nous est pas montré : le sang, l’animal agonisant ou encore l’excitation du public alentour, les vociférations, l’argent qui s’échange.
Pitt à coq 17
Seules deux des dix photos, les plus « réalistes » ; incluent la présence d’humains. Elles ne montrent toutefois qu’un fragment du réel qu’elles isolent. Le Coq y est portraituré dans sa relation avec l’homme. Les mains de celui-ci privent de liberté l’animal qui se voit entravé par un « fer ». Le cadre du format « paysage » ainsi que le gros plan renforcent l’idée d’une contrainte exercée. Quant au choix du noir et blanc pour certains arrière-plans, il fait ressortir, en le magnifiant, le plumage coloré de l’animal. Ailleurs, la couleur verte du sol, perçue comme agressive et inquiétante, évoque le tapis d’un jeu mortel qui s’apparente à celui de la « roulette russe ». Un observateur attentif pourra être sensible au regard d’un supporter, à l’arrière plan. Mains tendues, ce dernier nous fait face. Esquissant un sourire à la fois trouble et troublant, celui d’une possible connivence…
Les huit autres photos correspondent à des plans rapprochés de combat, prises à hauteur des coqs. Elles saisissent au vol, des instants fugaces n’ayant duré qu’une fraction de seconde qu’elles isolent et figent, en état de grâce. Evoquant ainsi une chorégraphie, un art du combat proche du Kung-Fu. Ce traitement esthétique parvient alors à déréaliser le combat, le dotant d’une signification métaphorique. La blancheur ou la noirceur des plumes, leur déploiement ou leur frémissement, leur environnement luminescent ou sombre, tout concourt à dramatiser cet affrontement et à entraîner l’observateur dans un au-delà du réel. Un au-delà qui débouche sur le mystère et rejoint le mythe. Ainsi, par le truchement de l’Art, la photographie dépasse « l’horrifique » pour atteindre le symbolique et le « poétique ».
« Votre âme est un paysage choisi… », Paul Verlaine, Fêtes Galantes, « Clair de lune ».
La photographie d’un combat de coqs n’est donc pas la reproduction exacte de celui-ci mais sa re-présentation. Une présentation sous une forme nouvelle, une création au sens d’une« poïesis, ». Il en va de même des paysages fussent-ils réalistes. Leur analyse sémantique repose sur des questionnements formels.
Coucher de Soleil à Tourgéville
A la différence des photos en couleur de « Pitts à coqs », la moitié des 23 photos de la série « Vertigo » sont en noir et blanc. A noter qu’une photo se présente sous la forme d’un diptyque associant les deux versions possibles d’une même prise de vue, en couleur et en noir et blanc. Les sujets abordés forment deux sous-ensembles, parfois confondus, « Arbres » et « Mer et rivière ». S’y ajoutent quelques autres : deux photos –porte et fenêtres-, trois photos « religieuses » et deux autres que l’on pourrait qualifier d’urbaines par opposition aux précédentes. En effet, si l’humain est quasiment partout absent , les éléments constitutifs de ces deux photographies renvoient expressément à des activités humaines à travers des murs, tantôt recouverts de tags, soit construits en briques. Sur cette dernière sont associés au mur des stères de bois et le pavage d’une chaussée.
Prague 6
Or cette photo, apparemment atypique par rapport aux autres, est parfaitement emblématique de l’ensemble. Elle s’attache à présenter une réalité, généralement perçue comme non artistique, dont on a découpé un fragment. Se présentant dans un style hyper réaliste, sans effets apparents, elle rend compte d’une composition à trois étages caractérisée par l’instabilité. Trois étages que nous retrouverons avec des paysages où se superposeront la terre, l’eau et le ciel. L’instabilité peut se lire à plusieurs indices. Découlant d’un cadrage oblique, des diagonales imposent la vision d’un monde en porte-à-faux. L’empilement des rondins de bois, en dépit du positionnement stabilisateur de quelques bûches, semble tout aussi fragile. Quant au mur lui-même, lézardé en maints endroits, la disposition anarchique des briques et leur absence de liant contribuent à suggérer l’existence d’un péril imminent. Il suffirait d’un rien pour que tout s’effondre sur un sol lui-même en miettes. Avec cette photo l’observateur, saisi de vertige, est en fait confronté à la vacuité et à ce que le bouddhisme appelle l’impermanence.
Rivière salée sépia (2)