La Finlande, l'Estonie et la Grèce viennent de ratifier le traité de Lisbonne. Tandis que les vingt-six autres pays de l'UE ont opté pour une ratification parlementaire, et que dix-huit d'entre eux se sont déjà exécutés, aujourd'hui, c'est au tour de l'Irlande de se prononcer par referendum. Les oui et le non sont au coude à coude.
Jean Quatremer, correspondant auprès de l'union pour Libération, membre du comité éditorial de relatio-europe et auteur du blog "Les coulisses de Bruxelles", nous propose des Scénarios de sortie de crise. L'Europe retient son souffle : et si l'Irlande disait non ? Que se passerait-il ?Scénarios de sortie de crise
La mise à la porte de l'Union d'un pays qui refuserait le traité est envisagée à Bruxelles.
L'Europe retient son souffle : et si l'Irlande disait non ? Ce pays de 4 millions d'habitants est, en effet, le seul à se prononcer, aujourd'hui, par référendum, sur le traité de Lisbonne, le texte qui doit remplacer la défunte Constitution européenne. Tous ses partenaires ont préféré la voie, moins risquée, de la ratification parlementaire : jusqu'à présent, dix-neuf Etats membres, sur vingt-sept, dont la France et les Pays-Bas, les deux pays qui avaient dit non en 2005, ont approuvé le traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 (1). Les sondages prédisant un résultat très serré, les partenaires de Dublin commencent à préparer des pistes de sortie de crise. Car un non irlandais, que tout le monde redoute à Bruxelles, bloquerait à nouveau la machine communautaire puisque le traité de Lisbonne ne peut entrer en vigueur que si l'ensemble des Etats membres le ratifie.
Suspendre.
L'Union replongerait donc dans la crise dont la signature de ce texte l'a péniblement sorti après le double non de 2005. La première chose que devront faire les Etats membres est de décider s'ils poursuivent ou non le processus de ratification lors du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement qui se réunit à Bruxelles les 19 et 20 juin. «Mais si on décide de suspendre, on ne sait pas si on pourra reprendre», met immédiatement en garde un haut fonctionnaire de l'Union.
"Tout dépendra en réalité des Britanniques, estime Jean-Louis Bourlanges, qui fut député européen entre 1989 et 2008. Gordon Brown, le Premier ministre, est tellement affaibli qu'il pourrait ne pas résister à la pression des conservateurs et des eurosceptiques de son camp. Dans ce cas, si Londres suspend comme il l'a fait pour la Constitution européenne en 2005, c'est la mort de Lisbonne." Mais pas celle de l'Union, évidemment, qui continuera simplement à travailler en appliquant les règles des traités actuels que tout le monde s'accorde à considérer comme insuffisants dans une Europe élargie à vingt-sept pays. Echaudés par quinze ans de négociations institutionnelles infructueuses, il est douteux que les Etats se relancent dans la rédaction d'un nouveau traité avant très longtemps. Ceux qui espèrent un "choc salutaire" ou une remise à plat de la construction communautaire à la suite d'un rejet du traité de Lisbonne en seront pour leur frais. Mais l'hypothèse la pire n'étant pas toujours celle qui se réalise, beaucoup espèrent que le fait que le traité ait déjà été voté par la Chambre des communes en première lecture poussera Gordon Brown à ne pas signer l'arrêt de mort de Lisbonne. Dans ce cas, il est probable qu'à la fin de l'année, l'Union se retrouvera avec 26 ratifications parlementaires contre un référendum négatif.
Nouveau vote. La pression politique sera alors maximale sur l'Irlande : une île de 4 millions d'habitants peut-elle bloquer une Union de près de 500 millions d'habitants ? Pour nombre de diplomates, l'Irlande devra, comme après son non au traité de Nice de 2001, voter une seconde fois. Une hypothèse que n'imagine pas Jean-Luc Sauron, maître des requêtes au Conseil d'Etat et président de l'Association des juristes européens : "Les Français et les Néerlandais n'ont pas revoté, ce qui a créé un précédent. Je ne vois pas au nom de quoi on pourrait exiger des Irlandais qu'ils le fassent." À moins qu'ils ne décident eux-mêmes de le faire.
En revanche, les Vingt-six seraient en position de force pour demander aux Irlandais de quitter l'Union. "Il faut en finir avec cette conception très années 50 qui veut que l'on avance tous d'un même pas, estime Jean-Luc Sauron. Aujourd'hui, la plupart des traités internationaux ne s'appliquent qu'entre les signataires." Cette solution séduit aussi Jean-Louis Bourlanges : "Il faut leur dire qu'ils ont le droit de rester en arrière." Mais comment mettre en œuvre une telle solution ? "Si on veut mettre l'Irlande à la porte, la moitié des Etats refusera, prévient un haut fonctionnaire européen. On peut imaginer une solution équivalente à celle qui avait été préparée en 1992, au lendemain du non danois au traité de Maastricht : tous les Etats intéressés sortent de l'Union et ratifient un nouveau traité qui crée une nouvelle Union."L'Irlande se retrouverait ainsi dans une Union croupion avec les Etats les plus eurosceptiques. "C'est un processus très lourd qui prendra des années, mais c'est faisable", explique le haut fonctionnaire déjà cité. Face au risque de se retrouver ainsi isolés, "les Irlandais finiront par voter oui", pronostique Jean-Louis Bourlanges.
JEAN QUATREMER Correspondant auprès de l'union pour Libération
Auteur du Blog "Les coulisses de Bruxelles"
Membre du comité éditorial de relatio-europe
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