Et Maître Laurent Hincker
La tragédie familiale d'Amstetten avec son cortège d'horreurs, par de-là l'Autriche, est de tous les temps, de tous les lieux, potentiellement universelle... l'inhumanité qui s'y exhibe dans sa "monstration" obscène nous interpelle : est-il possible au XXIe siècle de subir encore cette fatalité ? Comment protéger les victimes de tels prédateurs ?
La réponse est triple
Il faut mieux informer le grand public et mieux former les professionnels concernés, et ensuite donner des moyens pour mettre en œuvre une sorte de droit d'ingérence dans le cercle familial trop souvent encore sanctuarisé.
L'opinion publique européenne, profondément choquée, s'interroge... et la presse échafaude mille hypothèses, souvent fantasmées, sur la personnalité de Josef FRITZL, cet autrichien de 73 ans, qui, 24 ans durant, a séquestré et violé sa propre fille qui a donné naissance à sept enfants issus de leurs rapports incestueux... et ce à l'insu de ses voisins, des travailleurs sociaux, de la police, de la justice... et même, paraît-il, de sa propre famille...
Pourtant, loin d'être isolée, la personnalité de Josef FRITZL nous semble être l'archétype démultiplié d'une personnalité qui existe par milliers dans tous les pays européens, y compris en France... Toutes les descriptions faites par les journalistes d'investigation concordent... Il s'agit de personnalités dissociées qui, tel Mr Jekyll et Mr Hyde, présentent un double visage ...
A l'instar de Josef FRITZL, ils mènent en fait deux vies en parallèle : la première est socialement parfaitement adaptée : Josef FRITZL est "un homme courtois, ingénieur respecté, à la tête semble-t-il d'un patrimoine immobilier conséquent, qui donne toutes les apparences d'un homme normal et même séduisant..."
La seconde vie est celle qu'il fait subir dans le "huis-clos" familial, à sa femme Rosemarie qu'il a épousée et mise sous emprise très jeune, ainsi qu'à tous ses enfants "d'en haut" qui, terrorisés, vivent emmurés psychologiquement dans le non-dit...
Derrière la version officielle d'une famille "gaie et soudée" (dont certaines photos ont été reproduites par la presse), se cache en fait un tyran domestique, despote familial, exerçant une emprise absolue, instrumentalisant les autres, humiliant sa femme, refusant toute remise en question, usant de mensonges, de chantage affectif et de menaces pour parvenir à ses fins et imposer ses dictats...
Ce mode de fonctionnement évoque tout à fait la manipulation destructrice, faite de violences psychologiques, très insidieuses, qui, de manière stéréotypée, se retrouvent d'ailleurs chez la plupart de ces agresseurs : laissant libre cours à leurs comportements pervers souvent délictueux, parfois criminels, s'imaginant être protégé par le huis-clos familial...
Le passage à l'acte, l'emmurement physique de la "famille du bas", les viols incestueux, ne sont que l'aboutissement, la phase ultime de cette posture dominatrice, de despote arrogant et méprisant, de monarque absolu, qui se croit au-dessus des lois.... sans affect, totalement sans empathie, indifférent à la souffrance des autres, et qui vit dans le déni total non seulement de la souffrance, mais également de l'existence des autres. Bien plus, c'est la souffrance de l'autre qui, sans doute, le fait jouir. ..
Ces personnalités, encore appelées "pervers narcissiques", sont ainsi aujourd'hui clairement repérées par les psychiatres anglo-saxons depuis longtemps...et par toute une série de spécialistes en France qui ont écrit sur le sujet (1).
Souvent, ils présentent parallèlement des comportements de type paranoïaque et psychopathique, refusant toute remise en question, souvent instable dans leur parcours de vie, imposant à leurs proches leur vision du monde, sans affect, mais pour autant, socialement parfaitement adaptés : ce fonctionnement relève de la psychose dite "sans symptôme" particulièrement difficile à détecter.
D'ailleurs, certains professionnels ont encore du mal à reconnaître ces personnalités au mécanisme manipulateur complexe, dont les agressions ne laissent souvent pas de traces et donc pas de preuves irréfutables...
Beaucoup de ces professionnels, ainsi qu'une grande partie du corps social, nient même cette réalité, tant et si bien que les législations européennes sont souvent mal adaptées quand elles ne sont pas inexistantes, pour combattre ce fléau, véritable problème de santé publique dans certains pays...
En France, ces violences psychologiques (qui souvent précèdent d'ailleurs les violences physiques), faites de harcèlement, de menaces, de manipulations, d'instrumentalisation de l'autre, ne sont pour le moment pas punissables pénalement, ce qui ne peut que conforter ces personnalités dans leur arrogance et leur narcissisme....
Bien plus, la multiplication des procédures et leur morcellement en France entre un Juge aux Affaires Familiales, un Procureur, un Juge d'Instruction, un Juge pour Enfants, ainsi que différents experts psychiatriques, enquêteurs sociaux, etc... ne font souvent que rajouter pour la victime une violence institutionnelle à la violence existante, et ce parfois sans aucune efficacité...
Souvent isolées, les victimes usées moralement par les manœuvres projectives de l'agresseur (il reproche à la victime ce qu'il fait lui-même) les faisant passer pour folles, s'effondrent psychologiquement, justifiant la posture du manipulateur, qui finit même parfois par "avoir raison" devant les tribunaux...
Et pourtant des solutions existent...
A l'instar de la loi intégrale espagnole sur les violences conjugales entrée en vigueur en 2004, ne conviendrait-il pas de mettre en France en place un "guichet unique" pour recueillir l'ensemble des plaintes tant physiques que psychologiques, par des professionnels spécialement formés à cet effet, de permettre aux médecins libéraux de pouvoir faire des certificats médicaux décryptant les manœuvres manipulatrices, d'incriminer les petits délits (tels que menace simple, chantage, harcèlement dans la vie privée, (non punissables actuellement en France...) et de mettre en place une meilleure coordination des juges et des experts chargés de ces affaires complexes...
Françoise Guegot et Guy Geoffroy, députés français, sont tous deux en charge d'une mission parlementaire pour évaluer le dispositif existant actuellement en France pour lutter contre les violences conjugales et le cas échéant le faire évoluer en prenant aussi en compte les violences psychologiques...
Quant à l'inceste, dont l'interdit est pourtant l'un des fondements de nos sociétés actuelles, il n'est pas punissable en France en tant que tel si les protagonistes sont consentants, à moins qu'il ne s'agisse de mineurs de moins de 15 ans, auquel cas, le Code Pénal français dispose simplement que l'inceste constitue une circonstance aggravante lorsqu'il est "commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou part toute autre personne ayant autorité sur la victime" (âgée de 15 ans au plus).
Une proposition de loi a certes été déposée en novembre 2004 visant "à ériger l'inceste en infraction spécifique dans le Code Pénal français" à l'instar des lois existantes dans d'autres pays européens, notamment en Suisse, en Allemagne, en Grande Bretagne, au Pays de Galle, ou encore au Canada... Mais cette proposition de loi n'a toujours pas été adoptée en date de ce jour.
L'affaire FRITZL va peut-être amener les Parlementaires français, à débattre de ces questions rapidement...
1.) M.F. HIRIGOYEN, Y. PONCET-BONNISSOL, I. NAZARE AGA, C. PETITCOLIN...
Par le Docteur Geneviève Reichert-Pagnard
Psychiatre-victimologue
Auteur de "Crimes impunis", Ed. Prime Fluo
Maître Laurent Hincker
Avocat, Strasbourg et Paris
- Professeur associé des Universités (enseignement de sociologie)
- Avocat agréé auprès de la Cour Pénale International de la Haye, Rechtsbeistand für französisches und E.G. - Recht
- Délégué permanent auprès du Conseil de l'Europe de l'Union Internationale des Avocats (International Union of Lawyers) et de l'U.A.E (Union des Avocats Européens)
- Secrétaire Général de l'AFREH : Association de formation de recherche en droits de l'Homme, droit communautaire et droit européen
- Secrétaire général de Rhin-Volga (association franco-russe)
- Membre du Club Affaires de la Chambre de Commerce Franco-Allemande
- Membre de la Chambre de Commerce du Land Bade-Wurtemberg
- Responsable de la commission «Droits de l'Homme » de l'Union des Avocats européens
- Membre du Rotary Club Europe
- Membre des jurys de l'ENA, de l'IEJ et de l'ERAGE
- Distinction Chevalier de l'ordre des Palmes Académiques
- Membre du Cercle Relatio-europe
- Organisateur du colloque européen sur "Le harcèlement moral dans l'entreprise et dans le milieu familial : étude comparative en Europe" au Palais du Luxembourg (Sénat - Paris - 25.01.2008)
Commentaires (1) Qu'adviendra-t-il d'Elizabeh Fritzl ?
Ecrit par Michel Coron, juin 14, 2008
Merci pour ce commentaire très éclairant. Il sera probablement très utile pour cette famille éprouvée. Ce sont souvent des situations extrêmes comme celle-ci qui permettent de fare progresser nos connaissances sur les désastres causés par la personnalité narcissique et surtout de prévenir une répétition de tels crimes.
J'aurais quand même été heureux d'en apprendre plus sur la façon dont cette famille réussira sa réinsertion sociale, si elle reste toutefois possible.
En quoi le mouvement féministe peut-il aider concrètement des femmes dépendantes comme Rosemarie Fritzl à se tenir debout ? Comment les enseignants et enseignantes de nos écoles peuvent-ils/elles détecter une victime potentielle derrière une personnalité comme celle d'Elizabeth lors de ses fugues ? Que peut-on savoir des sept enfants du premier lit de Joseph Fritzl ? Peuvent-ils vraiment plaider l'ignorance alors qu'ils devaient bien savoir que le père apportait à pleine brouette des victuailles pour ses pensionaires d'en-bas ? Qu'en est-il vraiment de cette OMERTA, de cette loi du silence ?
N'y a-t-il pas danger d'une identification à l'agresseur chez Élizabeth et TOUS ses enfants ?
L'effondrement de Joseph Fritzl ne risquera-t-il pas d'entraîner une réaction en chaîne chez les victimes d'une telle personnalité ? Réaction sous forme de suicide, de délire, de compulsion à la répétition ou de passivité extrême ? Une résillience reste-t-elle possible ?
En tant que "bouc émissaire", Elizabeth n'incarne-t-elle pas ce besoin de certaine société autoritaire de maintenir, à l'instar du Troisième Reich, une cohésion sociale face à ce qu'on pourrait appeler les invasions barbares ? En d'autres termes, ce problème de rapt, d'inceste ou d'enfermement dans un lieu qui dépasse largement l'horreur des camps de concentration nazis peut-elle s'expliquer uniquement par des facteurs de nature psychologique ?
Voilà certaines questions dont j'aimerais avoir des réponses. Peut-être que le docteur Reichert- Pagnard saurait y répondre.
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