Manoel de Oliveira, reconnu par beaucoup comme le plus grand cinéaste portugais, nous a quitté, il y a tout juste un an, à l’âge canonique de 106 ans. En 1982, à l’âge déjà respectable de 74 ans, il tournait en secret Visite ou Mémoires et Confessions qu’il désirait ne voir sortir qu’à titre posthume. Sa volonté fut respectée et le 6 avril prochain sortira ce film testament que nous avons eu la chance de voir en avant-première.
Filmant la maison familiale, tout juste vendue pour solder ces dettes, Manoel de Oliveira se met en scène ainsi que sa femme dans un dialogue poétique entrecoupé d’image d’archives et d’explications plus concrète du cinéaste.
Manoel de Oliveira fait preuve d’un naturalisme et d’un style documentaire qui pourra désarçonner à l’évidence de nombreux spectateurs. Ces œuvres contemplatives sont à appréhender davantage comme des recueils poétiques que comme des objets filmiques à part entière. Même lorsqu’il dépeint les déboires coloniaux du Portugal comme dans Non ou la vaine gloire de commander, sur fond de débâcle en Angola, le metteur en scène s’attarde surtout à décrire les tourments de l’âme humaine. Pour ces confessions bine particulière, il s’est attaché les services d’Agustina Bessa-Luis qu’il considère comme une très grande écrivaine lusophone et qu’il a adapté par la suite dans Le principe de l’incertitude. D’incertitude, d’ailleurs, Visite ou Mémoires et Confessions est traversé de part en part. Nous conviant à la visite d’une maison emplie de souvenir, dans laquelle il passa tant de beaux et de malheureux moments, il en fait un être à part entière dont il s’émerveille mais dont sa femme s’inquiète. À eux deux, ils incarnent deux attitudes face à la vie, l’une nonchalante, sans inquiétude, et l’autre viscéralement cerné par le doute. Une attitude qu’il confie lui-même ressentir comme une sorte de schizophrénie de la psyché humaine. Construite dans les années trente, la maison, inspirée d’un navire est posée là, comme une entité inoxydable et pourtant parfois finit par faire l’effet d’un bateau ivre.
Manoel de Oliveira
Cette ivresse est celle des mots, du beau langage par laquelle Manoel de Oliveira arrive à sublimer une mise en scène d’une tristesse absolue. En soi, avouons-le, le long-métrage pourrait être un épisode de La maison France 5 sans le son auquel il serait, en conséquence, très difficile de s’attacher. Mais l’entendre décrire la porte d’entrée s’ouvrant selon « ce qui reste en elle de la conscience d’un arbre encore lié au cœur palpitant » donne inexorablement envie de s’attarder quand même. Et c’est ainsi qu’on se laisse bercer par les vers, sublimes, de la poétesse. En parallèle, Manoel de Oliveira projette des films privés réalisés en famille et les commente. On apprend son attachement sentimental à cette bicoque labyrinthique remplis de vieux fantômes, ou comment, homme de cinéma, il dépensa toute ses économies pour sauver de la faillite l’ancienne fabrique familiale héritée de son père. Il raconte ensuite, avec malice et désinvolture, l’absurdité de son arrestation par la police politique de Salazar, en 1963, et les mauvais traitements dont il fut victime dans les geôles fascistes. Pas ouvertement politique, son cinéma fut néanmoins vilipendé par la dictature pour la simple et mauvaise raison qu’il donnait de l’ampleur à l’âme humaine et amener tout simplement à la réflexion.
Maria-Isabel de Oliveira
Heureusement assez court, Visite ou Mémoires et Confessions est un moment intimiste à passer une dernière fois avec l’un des cinéastes qui le mieux mit à nu, tout le long de sa carrière, la conscience humaine et ses tortueux chemins. Son style réaliste a donné la voie à suivre à de nombreux successeurs. Il y a quelque temps, nous avions vu Et maintenant ? de Joaquim Pinto dont le cinéma doit beaucoup à Manoel de Oliveira et avec lequel il a d’ailleurs travaillé comme ingénieur du son. Idée incroyable d’audace, ce témoignage post-mortem ravira tous les amoureux du septième art.
Boeringer Rémy
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