Or les choses, privées de conscience propre, ne peuvent rien. Car seule la conscience peut, elle seule agit, attendu qu'elle est indépendante des choses, comme le prouve l'expérience de chacun. En tant que corps sans conscience, en revanche, je n'existe même pas comme illusion !
D'un autre côté, toute chose est dans la conscience souveraine.
Tout baigne en elle comme dans un élixir de vie.Et c'est elle qui, infusant le corps, lui donne l'être, le mouvement et la vie.
C'est elle qui, infusant de sa présence vivante les syllabes, donne aux mots tout leur pouvoir.
C'est donc la conscience qui agit : la Déesse, inséparable de Dieu, comme la lumière du soleil.
Mais alors suis-je libre en tant qu'individu ? Que se passe-t-il quand j'agis ?
Il se passe qu'à chaque fois que j'agis consciemment, par ma volonté, je me dilate à l'infini, je me replonge, pour ainsi dire, dans mon essence de pure conscience souveraine. Et c'est ainsi que mon corps et le reste de ma personne participent à la liberté de la conscience. C'est ainsi que l'individu est libre.
Mais d'ordinaire, ce processus de plongée dans l'infini passe inaperçu, car la conscience, emportée par son jeu, s'oublie dans l'intérêt qu'elle porte à des choses limitées. Par exemple, "je" veux faire la vaisselle, et, obsédé par cette visée pratique, je néglige qu'à chaque acte conscient, je me replonge dans l'Acte conscient universel.Pourquoi cet aveuglement ? Parce que moi, pure conscience infinie, je veux me manifester ainsi, comme être limité. Pourquoi ? Par jeu... ou bien, disons que c'est un mystère, un vertige, une ivresse, un saut, un émerveillement, un scandale, un miracle, une horreur, un drame, un grand point d'interrogation... tout cela et bien plus encore.
Moi, conscience, je me manifeste comme objet, je m'identifie à certains, opposés à d'autres, et je manifeste tout cela comme séparé de moi, alors que tout cela ne se manifeste jamais ailleurs qu'en moi.
Plus je m'identifie à un objet limité, plus je souffre ses limites, mais toujours sur fond de liberté. Même si je suis ignorant, aveugle, distrait, tout cela est, au fond, librement assumé. Jouer à être limité est aussi une forme de liberté. Plus je reconnais et porte attention à l'Acte de conscience par lequel tout advient, plus je suis libre, en un jeu inconcevable, capable d'accomplir l'impossible, dans le meilleur comme dans le pire.
Nul acte du sujet limité n'est possible sans l'Acte du sujet illimité. L'un est le prolongement de l'autre. Ou plutôt, l'un EST l'autre, et à l'instant de chaque acte, la conscience replonge en elle-même et retrouve, pour un instant hors du temps, sa toute-puissance. Reconnaître cela, s'en délecter, s'y plonger, s'y laisser posséder : tel est le yoga de la Reconnaissance.
Cette vision est très différente de celle de l'Advaïta Védânta : dans cette dernière approche, comme dans la plupart des approches "non-duelles" d'aujourd'hui, la conscience se reconnait seulement comme immobile, inactive, témoin passif de la danse des apparences. Si je suis cette approche, je me retrouve dans une impasse : ou bien j'agis, mais c'est une illusion, un manque de conscience claire ; ou bien je suis pure conscience passive, inaffectée, mais alors je n'agis pas, je ne participe à aucune vie. Action sans conscience ou conscience sans action : tel est le dilemme du néoadvaita, que la Reconnaissance dépasse dans le yoga de la vie quotidienne, dans le yoga de la plongée de la conscience en elle-même au cœur de chaque acte.