Le poème lui-même n’est jamais loin de la préoccupation de son écriture, en ce sens la figure est un autre nom du poème, qui serait comparable à ce que l’image mobile est à la photo fixe. L’intention essentielle demeure de dire le flou, le tremblé qui se loge entre ce qu’on veut dire et ce qui reste de ce qu’on veut dire. Ce qui est vu peut aller jusqu’à rentrer dans le cadre verbal :
la nuit continue touche-t-elle vraiment les branches de ce poème ?
Souvent cela repose sur un souvenir : le visage du père, les travaux de la campagne, l’école, ou l’enfance d’une façon plus générale. Des mots de patois viennent attester l’authenticité du passé paysan : sacs de garous, sabot garoché, parielles… De plus, le poème lui-même devient sujet, figure donc et partie intégrante du poème : un désordre forcément construit ce poème ou plus concret encore : on retourne patauger dans le poème une espèce de lecture … La plupart du temps, le poème part du regard à travers une fenêtre, par exemple, et fouille le paysage, or, à partir de là, se greffe autre chose :
je comprends mal comment des sentiments que j’ai
se mêlent à des mots pour que voilà un poème.
…des sentiments assez génériques et flous comme colère, mélancolie, désarroi, inquiétude, … et deux autres états, permanents : solitude et silence. On est souvent dans le temps unique, ce qui est arrivé une fois, ou tout au moins la fois dont on se souvient parmi d’autres ; on est parfois dans le temps cumulé, où la répétition des choses s’emboutit pour conférer une valeur générale, presque symbolique aux souvenirs empilés devenu conglomérat de temps. Ainsi dans Figure 24, toute la métaphore de la maison dont l’entrée, en particulier :
on voit que c’est pas seulement le seuil mais plutôt
comme un instant de rencontre que ça fait bouger le temps
On pourrait penser que l’effort d’écriture obérerait tout effort de mise en page, or James Sacré indique en passant :
c’est pour des raisons de composition de cet ensemble de poèmes que je reviens maintenant à l’évocation de ce coin d’Amérique…
alors qu’une série de poèmes parlait de Paris en contrepoint à la campagne, avant donc les maisons coloniales de la Nouvelle-Angleterre, et cette navette continue entre la région américaine où l’auteur vit quand il écrit ses textes et le Poitou où il est né. Correspondance des mots : herbe, ciel, hangars, ferme… La mémoire rhabille le présent. De même insère-t-il des considérations personnelles, avec pour confident direct son lecteur :
pardonnez-moi l’intrusion de ma sentimentalité dans ce poème ou bien ça va faire un effet de vécu dans la couchée de ces lignes écrites…
ou encore
J’aime bien écrire des poèmes lyriques en pensant à autre chose…
La deuxième partie : « Une petite fille silencieuse », insère parfois l’image immatérielle de l’enfant disparue dans le paysage pensé …la musique en allée de toi… L’élégie reste douce, pudique. La préface d’Antoine Emaz analytique et complète ouvre parfaitement à la poésie complexe de James Sacré. Il parle de poète inévitable. Un poète essentiel d’aujourd’hui, en effet.
est-ce que pendant que personne les voit, est-ce que ça disparaît ou que plutôt ça respire plus grand
les paysages ?
Jacques Morin
James Sacré, Figures qui bougent un peu et autres poèmes, Poésie/Gallimard, n° 510, 2015.