Le comble du luxe de lecteur : lire Cent ans de solitude dans un bus sillonnant les Andes colombiennes. Je l’ai fait ! Et j’en garde un souvenir mémorable quand bien même je n’aurais pas poussé mon périple jusqu’au village de Macondo – s’il avait réellement existé. Cette lecture date déjà de mai 2015 et je vous l’avais mentionnée dans mes coups de cœur de fin d’année sans jamais prendre le temps de développer mes impressions.
Cent ans de solitude correspond à ma première immersion – hautement réussie – dans l’univers foisonnant du prix Nobel de littérature de 1982. Je suis encore surprise qu’un simple objet-livre de 460 pages ait pu m’entrainer si loin géographiquement et temporellement. J’ai traversé un siècle d’histoire, me suis liée d’amitié avec chaque membre de la famille Buendia, me suis perdue dans la frénésie des noms, ivre de tant de détails réalistes, frisant tout à la fois le fantastique, me surprenant à trouver cette frontière naturelle. Rarement un roman m’aura permis d’accéder de la sorte à la découverte de l’autre, m’invitant à devenir observateur extérieur des membres de cette étrange famille. Je suis habituellement d’avantage tournée vers les récits introspectifs, et je m’étonne avec Cent ans de solitude à me sentir totalement concernée par les choix, les erreurs, les départs et les retours, les réussites de ceux qui font la vie du village de Macondo. Je suis transportée dans l’Histoire, sensible aux histoires, inquiète, joyeuse, apeurée ou attristée, enthousiaste, esseulée, effondrée, extasiée au rythme des solitudes bousculées façonnant la vie des Buendia.
Et que vous dire enfin de la langue de Gabriel García Márquez ! Elle vous entraîne dans une danse effrénée, riche de mille détails, constituant un destin unique en quelques phrases à peine, alternant l’intime et l’historique, le quotidien et le formidable, la sagesse et la folie… Cent année de solitudes indiviuelles ou collectives brassées dans un style ravageur, se prêtant à tout propos, se renouvellant incessamment…
« Et si quelqu’un se trouvait là, elle lui expliquait :
– ça me rend heureuse de savoir les gens heureux dans mon lit.
Jamais elle ne faisait payer ce genre de service. Jamais elle ne refusait cette faveur, et pareillement ne la refusa jamais aux innombrables hommes qui la cherchèrent jusqu’au crépuscule de sa maturité, sans lui donner argent ni amour, mais seulement parfois du plaisir. Ses cinq filles, héritières d’une si ardente semence, se perdirent dès l’adolescence par les chemins scabreux de la vie. Des deux garçons qu’elle parvint à élever, l’un mourut au combat dans les troupes d’Aureliano Buendia, l’autre fut blessé et capturé à l’âge de quatorze ans, alors qu’il essayait de voler un grand cageot de poules dans un village du marigot. »
Quel court extrait pour mille destins bien plus vastes et pas moins misérables… J’espère seulement avoir suscité chez vous le désir de lire à votre tour Cent ans de solitude.
Cent ans de solitude – Gabriel García Márquez
traduit de l’espagnol (Colombie) par Claude et Carmen Durand
Points, 1995, 460 p.
Première traduction française : Editions du Seuil, 1968
Première publication : Cien años de soledad, Editorial Sudamericana, 1967
Challenges concernés
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