"Michel Onfray est suspect, gênant parce qu'il lit trop et trop vite, écrit trop et encore plus vite. Comment faire quand on est loin d'être capable d'en faire autant ?"
Cet aveu d'impuissance d'Adeline Baldacchino, auteure de "Michel Onfray ou l'intuition du monde" venant de celle qui a pourtant beaucoup lu Onfray, ne peut que nous plonger dans davantage de perplexité encore. Car si la personnalité publique de cet écrivain, philosophe, universitaire n'a pu nous échapper y compris à travers les nombreuses turbulences médiatiques récentes, l’œuvre reste plus difficilement accessible à la fois par sa densité et par sa complexité. Si bien que l'approche qu'adopte Adeline Baldacchino offre une solution pour s'immiscer pourtant dans cet univers : elle s'attache à une analyse, un décryptage d'un aspect moins connu, presque secret de Michel Onfray : la poésie. En envisageant trois aspects : poétique, érotique et éthique , c'est dans une balade inédite qu'elle nous entraîne.
Car c'est un véritable dépaysement que ce livre provoque : Michel Onfray, philosophe engagé et créateur de l’Université populaire, pourfendeur de la philosophie institutionnelle, est vu ici sous l'éclairage de cette relation méconnue au monde.
Pour ce philosophe, écrivain impliqué dans les conflits de son temps, l'auteure nous fait découvrir, par exemple, sa "Théorie du Sauternes" qu'il ne faut certes pas ranger dans le rayon Œnologie. Car il sera question du temps " ontologique " de la mort et de la transfiguration par la pourriture noble ou du temps " hédoniste " de la dégustation du chef d'œuvre qui, plus qu'un contenu, est donc un "contenant de mémoires ".
Si bien que, dans un si vaste univers, il est tentant de tomber du côté où l'on penche en choisissant encore une autre facette de Michel Onfray : son intérêt pour l'art de son époque. Adeline Baldacchino évoque cette face cachée de l'essayiste : "La porte esthétique est, elle aussi, assez secrète : sans doute l'une des plus passionnantes ramifications de son travail, démontrant une vraie finesse psychologique." Les essais sur Vladimir Vélickovic, Ernest Pïgnon-Ernest, Gilles Aillaud, Valério Adami ou encore "L'Apiculteur et les Indiens" consacré à Gérard Garouste, témoignent de ce penchant. "Les peintres et les philosophes s'appartiennent " dit le peintre Gérard Fromanger qui a dessiné l'illustration de couverture de l'ouvrage que lui a consacré Adeline Baldacchino.
Manquerait-il une corde à son arc ? Michel Onfray peut devenir également commissaire d'exposition lors qu'il propose "Dix plus une" à Argentan en 2012, exposition dans laquelle les œuvres des artistes (dont Adami, Ernest Pignon-Ernest, Fromanger, Vélickovic, Garouste, Combas) permettent un croisement avec ses textes sur ces mêmes peintres.
Le livre d'Adeline Baldacchino ne se cache pas de l'admiration éprouvée pour son sujet et la personne de Michel Onfray avec qui elle s'est retrouvée dans le travail : " J'ai voulu ce livre façonné par l'"émerveillement, qui est un autre nom de l'admiration; l'un des actes de la joie".
Quand d'autres polémiques, d'autres combats immédiats remettront au centre des débats le Michel Onfray engagé dans son époque, il faudra repenser à la "Théorie du Sauternes" et se promettre de lire davantage ses écrits plus confidentiels.
Michel Onfray ou l'intuition du monde
Adeline Baldacchino
Editions Le Passeur, 2016, 233 p
(ISBN 978-2368904220)