Speak low if you speak love, tel est le titre du spectacle que Wim Vandekeybus a créé en Belgique à Mons lorsque cette ville était l´an dernier capitale europénne de la culture. Il l´empreunte à Shakespeare qui place cette réplique dans le bouche du Prince d´Aragon, Don Pedro, dans une de ses pièces les plus célèbres, Beaucoup de bruit pour rien (Much ado about nothing). C´est par ce ballet d´une rare intensité que les organisateurs de l´Osterfestival Tirol clôturent l´édition 2016 d´un festival en tous points remarquable.
Pour ce spectacle Wim Vandekeybus et sa compagnie de danse Ultima Vez ont, après nieuwZwart en 2009, une fois de plus collaboré avec Mauro Pawlowski et son groupe de rock expérimental dEUS. Sur scène, la chanteuse sud-africaine Tutu Puoane interprète les chants envoûtants d´une sorcière ou d´une déesse, elle entame une mélopée incantatoire qui semble mettre les danseurs en transe et leur fait exprimer ce qui l´on dissimule et l´on tait d´ordinaire. Car pour Vandekeybus « L’amour est une force cachée, il est dans toutes les fissures, il est présent partout, mais on ne lui échappe pas si facilement. C’est pour ça : Speak low … ». La scène devient le révélateur de cette force cachée.
Le décor et les accessoires sont aussi simples qu´éloquents: des rangées de bambous qui figurent peut-être la jungle, de longs voilages translucides, derrière lesquels se trouve l´orchestre, descendent des cintres, des voiles encore que les comédiens portent collés sur leurs têtes comme des bas nylons en entrée de ballet, une corde qu´un comédien lance en direction du public, un cercueil enfin. La jungle, sans doute africaine mais plus encore la jungle des innombrables pulsions, sensations et sentiments du melting pot amoureux, des voiles qui pourraient symboliser tout ce que l´on dissimule, tout ce que l´on tait mais aussi la cécité de l´amour aveugle, aveuglant et aveuglé, et puis cette corde aux sens multiples, celle de la pêche à la ligne quand l´amour cherche sa proie, celle des liens tendres et affcetueux mais aussi des liens qui emprisonnent, ceux des amours violentes et possessives, des amours qui étouffent, la corde lasso, la corde de trait ou de jeux de traction, la corde du fouet. Et le cercueil parce qu´Eros est inséparable de Thanatos, parce qu´on meurt d´amour ou que l´amour se meurt, qu´on se suicide par amour, que la jalousie ou les sens des conventions sociales conduit au meurtre, que l´amant ou les amants se font tuer, Romeo et Juliette, -encore Shakespeare-, ne sont pas loin.
Le passionnel, le dramatique et le tragique ou la carte du tendre s´expriment dans un langage gestuel qui, s´il puise à diverses sources, de la danse classique à la break dance, au rock acrobatique ou au contorsionisme circassien, constitue un langage chorégraphique propre au génie de Wim Vandekeybus qui nous offre son approche visionnaire de la complexité du phénomène amoureux, dont la densité est allégée par des moments d´humour ou de rire. Tout cela est porté par une troupe de danseurs et de danseuses plus exceptionnels, plus souples et plus agiles les uns que les autres. Sans doute chorégraphe leur laisse-t-il le champ libre pour que chacun d´entre eux puisse par la danse et le jeu faire ressortir la personnalité qui lui est propre. Ils expriment la tendresse et la violence, l´extase comme la bestialité, le rire, la douleur et les larmes. Ils expriment la diversité des genres et des sexualités.Cela donne un spectacle pluriel dont la tension dramatique tient le public en haleine pendant 105 minutes dansées sans entracte, un spectacle qui pourrait à première vue paraître chaotique et insaisissable comme le peut être l´amour, mais que des fils rouges et la musique structurent. Mauro Pawlowski et ses compagnons jouent en virtuoses leurs compositions aux rythmes nouveaux et ensorcelants inspirées des histoires d’amour classiques, entre soul et rock expérimental.
Un grand spectacle de clôture, qui donne une envie de reviens-t-en à l´Osterfestival Tirol version 2017!
Trailer
Pour suivre le travail de Wim Vandekeybus et de sa compagnie, visitez leur site web.
Crédit photographique: Jan Hromadko / Archa Theatre
Un article de Luc Roger