A relire Marguerite Duras, l’air soudain paraît plus lourd.
Mais pourquoi ?
C’est que Marguerite finit par asphyxier le lecteur-voyageur, qu’il découvre l’Indochine de façon livresque ou qu’il arpente dans sa réalité physique les lieux qui ont vu grandir la petite fille qu’elle a été. Névrose. Bien sûr, la mère ! Incarnation de l’irrésistible désir d’ascension sociale ! Jusqu’à l’obsession, l’absurde, la folie ! Névrose. Bien sûr, la mère ! Les mères ne sont-elles pas toujours coupables ? Entre les apparences et la réalité. Sa progéniture lui échappe, qu’elle ne sait pas protéger et dévore d’un amour possessif et aveugle.
Les enfants glissent à la dérive. Lucidité, violence, haine. Parvenir à fuir l’enfermement maternel.
Mais en retour, le génie de l’écrivain est d’avoir hissé l’entêtement et les gestes d’une mère insensée à la hauteur de l’épopée. Quoiqu’il en soit, Madame Donnadieu devient « mère courage », pour l’éternité, égérie des utopistes de tristes tropiques où la lutte contre la corruption de l’administration coloniale est au moins aussi démesurée que celle consacrée à vaincre les grandes marées sur des rizières improbables.
Photo empruntée à ce blog
Névrose. Marguerite, marquée à jamais par la démesure de tout ce qui l’entoure, l’absence de repères, la promiscuité, les expériences sexuelles précoces et qui livrera surtout à travers les non-dits de son écriture, les secrets inavouables d’une enfance volée. C’est l’histoire d’une sale gamine, finalement. Insolente et n’en faisant qu’à sa tête.
En 1926. Elle a douze ans.
Arrogante et aguichante. Et qui ne guérira jamais de cette enfance-là. Et qui cependant et grâce à cela écrira un chef-d’œuvre.
Car « Un barrage contre le Pacifique », par son style rapide, incisif marque un tournant dans l’histoire littéraire. L’ouvrage ne se situe pourtant pas dans la veine du Nouveau Roman. La forme, malgré son importance, n’est pas prioritaire Il s’y raconte une histoire. On y découvre des lieux, des paysages, des gens, l’exotisme des années coloniales. Le sang et les larmes. La violence des éléments et des sentiments. Mais pas de fioritures stylistiques. Juste des mots. Des phrases concises.
La noirceur, la moiteur, la veulerie, la torpeur, l’ennui, l’hystérie, la névrose qui imprègnent les pages rendent ainsi peu à peu l’air irrespirable.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Les colons sont rentrés cultiver leur nostalgie de l’Outre-mer et sont morts à présent. Le Cambodge est à peine remis de la terrible guerre civile qui l’a ravagé. Le régime des Khmers rouges n’est plus,
mais leurs fantômes hantent encore certains lieux. Autour de Kampot, justement, là où ils avaient trouvé leurs derniers refuges au moment des derniers combats. Là, où désormais ceux qui n’ont pas peur des fantômes commencent à étendre les plantations de ce poivre à la saveur incomparable qui avait fait la réputation de la région avant la guerre civile.
Aujourd’hui la ville se soucie peu de Marguerite et ne s’en est d’ailleurs jamais souciée. Personne ne la connaît. Aujourd’hui la cité est tranquille, loin de l’agitation vibrionnante de Phnom Penh et profite d’un climat agréable, attirant un tourisme familial et beaucoup de backpackers. Les vacanciers plus agités fréquentent plutôt Sihanoukville et ses plages.
Seul le présent compte.