Le blog de Jean-Pierre Filiu Historien et arabisant
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Le régime Assad, soutenu une fois encore par l’aviation et les forces spéciales russes, annonce être en passe de reprendre l’oasis de Palmyre aux jihadistes de Daech, le bien mal nommé « Etat islamique ». On ne peut que se réjouir de voir bouter hors de Palmyre les partisans de Baghdadi qui y ont perpétré d’innombrables crimes et détruit des trésors du patrimoine mondial, sans doute de manière irrémédiable, du fait de leur démolition à l’explosif. Mais il faut bien comprendre que Palmyre n’aurait jamais dû tomber aux mains de Daech et que cette « libération » n’est qu’une restauration, en pire, d’un statu quo déjà scandaleux.
Il n’en fut rien, bien au contraire. L’armée et la police d’Assad évacuèrent la ville en quelques heures, laissant la population sans protection face à Daech. Il faut dire que le régime baasiste ne nourrit aucune tendresse pour les habitants de Palmyre qui ont osé manifester dès 2011 leur opposition à la dictature. Pendant longtemps, la citadelle médiévale qui domine l’oasis servait aux sicaires d’Assad pour mitrailler, voire pilonner les militants contestataires en contrebas. Ce n’est qu’en 2013 que le régime Assad pourra considérer avoir rétabli son plein contrôle sur l’oasis, malgré la sourde opposition qui continuait d’y couver à son encontre.
Palmyre, Tadmur en arabe, était tristement célèbre chez les opposants syriens pour la prison que l’oasis hébergeait. Des milliers de détenus politiques y ont été torturés durant de très longues années et des centaines d’entre eux avaient même été massacrés en juin 1980, en « représailles » à une tentative d’assassinat contre Hafez al-Assad, le père de Bachar. La prison, fermée en 2001, au début du règne de Bachar al-Assad, avait été rouverte dix ans plus tard, avec le début du soulèvement révolutionnaire. Les forces loyales au dictateur ont pris le temps d’évacuer la prison lors de leur retrait précipité de la ville, en mai 2015. Daech ne tarda pas à détruire ces sinistres geôles. L’opposition syrienne, loin de se réjouir de la disparition de cette "Bastille du désert", dénonça la volonté d’effacer les preuves de certains des pires crimes du régime Assad, père et fils.Car il y a changement de degré plutôt que de nature dans l’oppression de Palmyre sous les Assad et sous Daech. Le trafic d’antiquités était déjà florissant avant 2015 et le site antique avait subi les tirs et les pilonnages des forces gouvernementales. Daech va intensifier et systématiser ces juteux pillages, tout en se livrant, entre autres, aux effroyables destructions du temple de Bêl et du sanctuaire de Baalshamin. Là comme ailleurs pour Daech, les démolitions médiatisées servent aussi à faire monter les enchères pour les antiquités plus légères écoulées au marché noir. Quant au supplice de l’ancien directeur des antiquités de Palmyre, Khaled Al-Assaad, décapité en août 2015, il n’est que l’un de trop nombreux crimes perpétrés par Daech sur ce site de Tadmur où tant d’opposants ont péri sous les Assad.Essayons, une fois n’est pas coutume, de nous mettre à la place de Bachar al-Assad, une personnalité que j’ai pu rencontrer à plusieurs reprises. Le despote syrien est au printemps 2015 menacé sur tous les fronts par les coups de boutoir des forces révolutionnaires. Daech est dans ces conditions le meilleur des épouvantails à agiter pour raviver l’antienne « moi ou le chaos » qui est le fonds de commerce de ce régime comme de toutes les dictatures. Un mois avant que les forces d’Assad n'abandonnent Palmyre à Daech, elles laissent ces mêmes jihadistes pénétrer à Damas dans le camp palestinien de Yarmouk, pourtant assiégé depuis près de deux ans par l’armée loyaliste et ses milices supplétives. Assad n’a rien à perdre à perdre Palmyre et il escompte de cette perte gagner gros sur la scène internationale.Depuis l’automne 2015, l’intervention massive de la Russie a changé la donne pour le plus grand profit du dictateur syrien. Les premiers pilonnages de Sukhoï 35 sur Palmyre interviennent en novembre dernier, mais cela faisait des mois que Poutine se faisait fort de refouler les jihadistes hors de la cité antique. Ce sera bientôt chose faite et on ne peut qu’espérer que les habitants de Palmyre ne passeront pas, une fois de plus, d’une oppression à une autre. Mais, dans le tonnerre d’éloges qui ne manquera pas de saluer cette victoire d’Assad et de Poutine, n’oublions pas que cette « libération » est le symbole même du seul avenir qu’ils offrent tous deux au peuple syrien : la restauration de la dictature, présentée comme unique alternative à l’horreur jihadiste. Or il y a et demeure une troisième voie, celle des Syriennes et des Syriens tout autant opposés à Daech qu’à Assad.http://filiu.blog.lemonde.fr/2016/03/25/palmyre-une-liberation-en-trompe-loeil/Jean-Pierre Filiu est professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences Po (Paris). Il a aussi été professeur invité dans les universités de Columbia (New York) et de Georgetown (Washington). Ses travaux sur le monde arabo-musulman ont été diffusés dans une douzaine de langues. Il a aussi écrit le scénario de bandes dessinées, en collaboration avec David B. ou Cyrille Pomès, ainsi que le texte de chansons mises en musique par Zebda ou Catherine Vincent. Il est enfin l’auteur de biographies de Jimi Hendrix et de Camaron de la Isla.