Un vendredi saint à Lima

Publié le 27 mars 2016 par Tidus457 @perou_voyage

Je n'ai pas été élevée dans la foi catholique. Ni aucune autre foi d'ailleurs.

À l'école, je n'ai eu aucun cours de catéchèse, sauf une fois, par défaut, où le prof de morale -l'alternative de l'époque aux cours de religion- était malade. J'avais 7 ans et on nous avait placés au fond de la classe de religion, dans la section des pécheurs. Il faut dire que la classe était déjà pleine. On nous avait dit de dessiner pour passer le temps. Moi, par curiosité, j'écoutais un peu le cours, surprise d'entendre une nouvelle histoire que tous semblaient connaître, avec des apôtres, Paul, Jean, je crois. Puis, j'ai complètement déconnecté avec le début de la prière et je suis retournée à mes dessins. À chacun ses superhéros.

Ce n'est qu'à mes 12 ans que j'ai appris que Noel représentait la naissance de Jésus. C'est pour dire à quel point la religion était présente à la maison.

Une prof italienne m'avait dit, avec de grands yeux consternés: don't you know what Christmas is?
En répondant " heu ...no " je m'étais sentie vraiment bête. Pour moi, c'était la bonne bouffe en famille, les Ferrero Rochers cachés dans le sapin de Noel, et les cadeaux. Qu'est-ce que venait faire Jésus dans notre fiesta?

Toujours est-il qu'à l'aube de mes 30 ans, je ne connais toujours pas le nom des 12 apôtres, mais je suis plutôt fascinée par les célébrations religieuses. Fascinée surtout par la dévotion des participants, aux visages empreints de douleur, de larmes, d'amour qui semble mal. Un concentré d'émotions humaines face à un esprit que je ne vois pas.

Chaque viernes santo, le vendredi saint, durant 3 ans, je me suis dit que je n'allais pas manquer la procession du Señor de los Milagros au centre de Lima. Au bout de la 3 e année, j'ai décidé d'arrêter de me trouver des excuses. En parcourant une Lima vidée par les vacances de la Semana Santa - là, j'ai commencé à croire aux miracles- je suis arrivée à la Plaza de Armas.

Depuis 6h du matin, le " Seigneur des Miracles ", se promène à travers les rues du centre historique de la ville. Il est parti du Sanctuaire de las Nazarenas en direction de la cathédrale. On dit que cette image du Christ fut peinte au 17 e siècle par Pedro Dalcon, un esclave angolais. On le surnomme el Cristo moreno, le Christ noir, puisqu'il était principalement adoré par la population africaine du Pérou, issue de l'esclavage.

La majorité des gens s'entasse à l'ombre. Il faut dire que le soleil tape fort à Lima. Parfait timing : la procession est au coin de la rue. Je me plante devant la cathédrale, agréablement surprise de voir que la Plaza n'est pas aussi bondée que sur les photos. Mais lorsque je me retournerai, 5 minutes plus tard, un océan humain se tiendra derrière moi.

La procession arrive dans un nuage d'encens, avec les fidèles vêtus de leur habit traditionnel mauve, caractéristique de la dévotion au Señor de los Milagros.

Plus le cortège s'approche, moins je comprends le chaos entre les chants d'église préenregistrés, et la musique des instruments à vent, à la fois languissante et joyeuse. Pendant un instant, par réflexe bien nord-américain, je me demande à quoi peut bien servir d'avoir deux musiques complètement différentes, un peu comme deux postes de radio mis à plein volume. Mais au Pérou, on est au pays de celui qui criera le plus fort pour se faire entendre. Pas par méchanceté, mais par simple habitude.

Innocemment, lorsque le monsieur à mes côtés tend la main, je crois qu'il salue un ami au loin. Puis, plusieurs commencent à saluer dans la même direction, pour attirer l'attention du Saint en leur direction je suppose. Certains pleurent d'émotion, d'autres se donnent des tapes d'amitié dans le dos. On sort les smartphones et les tablettes, on prend des photos pour Facebook. " Pa'l Face ", comme ils disent ici. Comme quoi, on peut être de son temps et suivre un culte qui a plus de 2000 ans.

Le cortège s'arrête devant la cathédrale et dépose l'image sainte. On est tassés comme des sardines. Tout le monde essaie de s'approcher alors qu'il n'y a pas de place. La dame à côté de moi me plante constamment le parapluie au-dessus de l'oreille. Il faut dire que je fais une tête de plus qu'elle, mais je commence en avoir marre. Une autre, derrière moi, me pousse. Par réflexe, je me dis qu'elle doit avoir l'intention de piocher dans mon sac à dos et je le place devant moi. Puis je me rappelle qu'il est vide. La pauvre, elle ne sait pas que la gringa devant elle n'est pas aussi perdue qu'elle en a l'air. Au mieux, elle trouvera un vieux kleenex, glorieux témoin de mes allergies constantes à Lima.

Puis le cortège reprend son chemin pour entrer dans la cathédrale. Pour moi, ce sera l'occasion de m'éloigner de la foule et profiter des rues encore vides. Ce n'est qu'une question de minutes avant que le centre de Lima se remplisse à nouveau.

La principale célébration du Señor de los Milagros se tient en octobre. C'est la plus grande célébration catholique du Pérou et une des plus grandes processions du monde. À ce moment-là, c'est une véritable marée humaine mauve qui déferle dans les rues. Une célébration à ne pas manquer si vous êtes à Lima!