S’il existe plusieurs raisons de rencontrer le perroquet et le chien en compagnie d’une femme (voir Le perroquet, le chien, la femme ), les voir en compagnie d’un homme est bien moins naturel. Il faut pour cela un contexte très particulier. Nous en avons trouvé trois : la parole, le bizarre et le sexe.
La Parole
Un théologien dans son étude
Hendrick Martensz Sorgh, 1663, Musée National, Varsovie
Le prédicateur est en train d’écrire un sermon, la Bible ouverte devant lui.
De sa main gauche, le chien de la maison attend un signe. De la queue du perroquet, la plume de sa main droite attend l‘inspiration. L’oiseau trouve ici une de ses significations classiques : l’Eloquence.
Robinson Crusoë chez lui
1874 Nelson and sons
Robinson Crusoë chez lui
F. H. Nicholson, 1903
C’est surtout dans les pays protestants que l’association entre le perroquet et la Bible est la plus courante dans l’imagerie de Robinson. Le Livre Saint qui le soutient dans l’adversité est ouvert sur la table, et il prêche le perroquet, le seul être qui lui adresse la parole. Version digitalisée du livre de 1874 : http://ufdc.ufl.edu/UF00028231/00001/135x
Dans l’illustration de droite, les couleurs de Robinson sont raccords avec celles de l’oiseau. Sous son pieux gouvernement, les chiens sont invités à se tenir tranquilles et les chats à se contenter de lait.
Le Bizarre
Portait du nain Michol
Juan Carreno de Miranda, vers 1680, Meadows Museum, Dallas
Le nain est représenté parmi les animaux familiers de l’empereur Charles II d’Espagne (la grenade est un emblème des Habsbourgs). Vu sa position, il est légitime de se demander s’il faut l’inclure, ou pas, dans la collection de curiosités.
Si l’on regarde la partie inférieure du tableau, la miniaturisation des chiens avantage le petit homme ; si l’on regarde la partie supérieure, la taille des cacatoès l’enfonce. Ce double point de vue, entre tolérance et moquerie, traduit bien l’opinion de l’époque : tant que le nain s’occupe des petites choses, animaux domestiques ou enfants, il a sa place parmi les hommes.
Arrigo le velu, Pietro le fou et Amon le nain (Arrigo peloso, Pietro matto e Amon nano)
Agostino Carracci, 1598-1600, Museo nazionale di Capodimonte, Naples
Il ne s’agit pas d’une oeuvre d’imagination, mais bien du portrait savamment composé de trois figures célèbres de la cour de Naples. Loin de se moquer des trois « monstres », Carracci les montre en harmonie avec les animaux – qui ont parfois plus de sagesse que les hommes.
Le nain, courbé entre le chien et le perroquet, donne l’impression de ne pas rentrer dans le cadre : de l’un il a la fidélité, de l’autre la langue bien pendue.
Le personnage atteint d’hypertrichose est aimé des bêtes à poils : un singe est monté sur son épaule pour chiper un fruit au perroquet ; un autre à côté de sa jambe tient la patte d’un chiot effarouché.
Dans le coin en haut à droite, le fou est réduit à sa partie utile : sa tête au sourire grinçant.
https://it.wikipedia.org/wiki/Triplo_ritratto_di_Arrigo_peloso,_Pietro_matto_e_Amon_nano
La naissance d’Henri IV
Eugène Devéria, 1827, Musée du Louvre
Toute la fougue et le romantisme du jeune Devéria dans ce tableau grouillant de vie et d’anecdotes. Au premier plan, à côté d’un couple parfait (la jeune femme à la belle robe violette et le jeune homme à la belle jambe), voici l’union caricaturale du bouffon bas sur patte avec ses animaux.
Amon le nainAgostino Carracci, 1598-1600
Le fou du Roi au perroquet
Eugène Devéria, Etude à l’aquarelle, Academia Fine Art, Monaco
Devéria s’est clairement inspiré de Carrache, jusqu’aux trois rubans blancs sur la cuisse.
Vêtu en bleu, jaune et rouge comme le perroquet, le nain porte des grelots comme un chien :
il est aimé des animaux parce qu’il leur ressemble.
Avec son plumet et son bouc, on dirait qu’il leur parle dans les deux langues : celle de la plume et celle du poil.
La dague qui lui bat l’entrejambe est à l’envers et sa bourse est hypertrophiée : cet être à la taille d’enfant est doté d’un sexe de satyre.
Le règne du bon roi Heri IV s’annonce gaillard et paillard.
Pour terminer, voici d’autres exemples où le perroquet et le chien accompagnent le Mâle dans sa virilité.
Portrait de Govaert van Surpele avec sa femme
1636-38, Jacob Jordaens , National Gallery, Londres
Une lecture binaire
La composition associe le perroquet à la femme, et le petit chien au mari, de part et d’autre de cet axe puissant que constituent le pilastre au chapiteau orné d’un faune barbu et cornu, et la canne plantée devant madame. Signe de propriété et de virilité, que celle-ci approuverait de la main ?
En fait, ce bâton est celui du « Président de la Loi« , office que Govaert avait obtenu en même temps qu’il épousait sa seconde femme : l’approbation de celle-ci vise donc surtout l’ascension sociale de son époux, bien que l’autre type d’ascension ne soit pas à exclure chez Jordaens.
Une lecture diagonale
Les animaux familiers ajoutent une touche intime à cet imposant portrait de couple. Cependant, sous l’épée du gentilhomme, n’attendrait-on pas un dogue plutôt qu’un bichon avachi ? Et surplombant la dame en robe stricte, que signifie cet oiseau voyant et exotique, qui traîne orgueilleusement parmi les pampres ?
Sans doute faut-il lire les deux animaux comme des emblèmes appartenant à l’un et à l’autre : ils font voir l’union du couple, conjoint par les deux emblèmes de la Fidélité et des Honneurs.
Scène érotique
Lithographie d’un artiste inconnu, vers 1910
Il faut une grande mauvaise fois pour juxtaposer à trois siècles de distance, le digne couple flamand et ces amants de la Belle Epoque. Certes le grand rideau, le tapis, la position du perroquet et du chien sont les mêmes. Mais les deux animaux ne signifient plus du tout la même chose.
Car le XVIIIème siècle est passé entre les deux, avec ses métaphores galantes : l’oiseau qui change de volume en étendant ses ailes est compris par tout le monde, d’autant plus s’il a une longue queue et une forme oblongue et s’il se fourre volontiers dans les anneaux (voir L’oiseau licencieux ) ; quand au petit chien, réconcilié avec son ennemi héréditaire, il tend son museau vers Minet (voit Pauvre Minet)
Arlequin et Colombine
Umberto Brunelleschi, vers 1910
Dans une ambiance prétendument poétique, ce sont ici les bêtes qui montrent ce que Colombine a en tête : se faire grimper par un perroquet aussi bariolé qu’Arlequin, en haletant comme une chienne. Tandis que le jet d’eau jaillit.
Le jour de sortie des pensionnaires
1865, John Lewis Brown, Bordeaux, Musée des Beaux-Arts
Les oiseaux sont tellement la métaphore des prétendants que les voir entourer une femme est naturel ; les voir couvrir un homme l’est moins.
Comme nous l’avons noté dans L’oiseleur et moyennant un certain flottement, ce personnage représente en général un tombeur, un chasseur de femmes. Ici, les « pensionnaires » qu’il a tirées de leur cage pour une promenade au grand air, sur une grande perche, en compagnie d’un grand chien, sont bien sûr, quinze ans avant Maupassant et sa maison Tellier, des « poules » de toutes les couleurs.