Le perroquet et le chien font-il partie du mobilier, ou de la progéniture étendue jusqu’aux animaux domestiques ?
C’est la grave question que posent d’antiques portraits de famille…
William Brooke, 10ème Lord Cobham et sa famille
Master of the Countess of Warwick (Attr.), 1567, Longleat House, Wiltshire, UK
Voici la traduction de l’inscription latine :
« Voyez ici le noble père, ici la plus excellente mère. Assis autour d’eux s’étend une multitude digne de ses parents. Telle était la famille du patriarche Jacob, telle la descendance du pieux Job. Dieu veuille que la ligne de Cobham engendre de nombreux descendants tels que Joseph, et fleurisse comme la graine restaurée de Job. Beaucoup a été donné à la noble race de Cobham. Leurs joies peuvent durer longtemps. »
La descendance ainsi vantée est présentée très rationnellement. Les six enfants sont classés par sexe ( trois garçons à gauche côté père, trois filles à droite côté mère, dont deux jumelles) et par ordre d’âge croissant (les plus âgés sont plus près du centre). Chacun est individualisé par un attribut : un chiot, une pomme, un chardonneret, des cerises, une pomme, un marmouset (qui remplace dans l’assiette la poire posée à côté).
Le perroquet, vedette de la famille, n’appartient à personne : il a quitté son perchoir (à gauche) et traversé la table pour se planter devant l’assiette à biscuits.
Dans ce goûter auxquels les adultes ne daignent pas participer, les enfants ont reçu chacun leur fruit : par leur régime d’oiseau et par leur taille, ils se rapprochent plus des animaux de compagnie que des grandes personnes, qui gardent leur distance : la mère tient son gant plutôt que de poser sa main sur l’épaule d’une des filles.
http://www.tudorplace.com.ar/Bios/WilliamBrooke.htm
Les infantes Isabella Clara Eugenia et Catherine Michelle d’Espagne
1570, Sofonisba Anguissola, Royal Collections, Buckingham Palace, Londres
Sofonisba était à l’époque à la fois une portraitiste très appréciée à la Cour d’Espagne, mais aussi la préceptrice des deux petites princesses. L’aînée Isabelle (4 ans, à gauche) deviendra reine des Pays Bas. Pour l’instant, un protocole subtil concilie l’égalité entre les deux princesses (vêtements strictement identiques, assortis au plumage du perroquet) et l’ordre dynastique : l’aînée porte sur sa main gauche l’oiseau, plus prestigieux que le petit chien que la cadette touche de sa main droite.
Peut-être les deux favoris superposés au-dessus de la nappe rouge, symbolisent-t-ils les deux facettes de l’Empire espagnol : exotique et domestique.
Philippe II, le futur Philippe III et les infantes Isabella Clara Eugenia et Catalina Micaela
Vers 1580, anonyme espagnol, The Hispanic Society of America, , New York
Les mêmes quelques années plus tard, avec des robes tout aussi raides, mais qui s’hypertrophient maintenant vers l’arrière en une traîne majestueuse : le dimorphisme sexuel à son apogée, si on compare la splendeur des jeunes femmes avec le costume noir de leur père. C »est pourtant bien devant l’Empereur qu’elles comparaissent très protocolairement, un pas derrière le petit Philippe qui, tenu en laisse égalitairement, remplace le perroquet et le chien. Devenues grandes, c’est d’un enfant véritable que les deux princesses ont maintenant la garde.
Portrait de cinq femmes, avec un chien et un perroquet
Lavinia Fontana, 1603-1614, Collection privée
S’agit-il d’une mère exigeante trônant entre ses quatre filles, ou d’une Grande Dame avec ses quatre demoiselles d’honneur ? Toujours est-il que les jeunes filles portent la même tenue, tandis que la personne de qualité est vêtue d’une robe sombre, et flanquée d’un chien et d’un perroquet.
Les deux demoiselles de gauche lui tendent une coupe remplie de fleurs et un double collier de perles ; la troisième pique une fleur dans ses cheveux ; la dernière, qui fait exception par sa posture et sa physionomie, tient d’une main un diadème avec des perles et de l’autre la poignée du tiroir à bijoux. A son regard en biais vers la troisième, il semble bien y avoir une tension entre elles : comme si la Dame avait préféré orner ses cheveux de fleurs plutôt que de perles. Cette intrigue minime semble destinée à mettre un peu de piment dans une composition extrêmement symétrique : fleurs -perles – fleurs -perles.
Portrait de Bianca Degli Utili Maselli avec six de ses enfants
Lavinia Fontana, 1604, Collection privée
La composition est tout aussi rigoureuse que la précédente (trois enfants de chaque côté de la mère) et le parti-pris d’uniformité encore plus grand puisque tous portent la fraise et sont vêtus de la même spectaculaire étoffe noir et or. Cependant, ce tableau extraordinaire, quasi surréaliste, combine à la perfection le hiératisme et la vie grâce à toute une série d’astuces :
- le mouvement ascendant des petits vers les grands ;
- les perles (collier et boucle d’oreille) qui distinguent la mère ;
- l’unique fille de la bande, identifiée par son prénom Verginia, qui tient dans ses menottes d’un côté l’index droit de la mère, de l’autre la patte droite du petit chien ;
- l’objet distinctif que chaque enfant a choisi comme emblème.
De gauche à droite : une petite coupe de fruits, un chardonneret tenu par un cordon, le petit chien, une plume avec un encrier, une médaillon doré. Seul le garçonnet masqué par sa mère a été privé d’attribut : son signe distinctif est de se pencher vers l’oreille de son petit frère. Il joue ici le rôle de l’élément perturbateur que tenait la file de droite, dans le tableau précédent.
Nous ne savons pas grand chose de Bianca, sinon qu’elle mourut à 37 ans, en donnant naissance à son 19ème enfant, l’année d’après ce tableau…
Pour une vue en haute définition :
http://www.sothebys.com/en/auctions/ecatalogue/2012/important-old-master-paintings-n08825/lot.48.html
Le Landgrave Moritz von Hessen-Kassel, sa seconde épouse Juliane von Nassau et leurs quatorze enfants
Attribué à August Erich, 1618, Hessisches Landesmuseum, Kassel
(en cours de restauration)
La progéniture est présentée par ordre de taille décroissante, du père debout à la mère assise, du blason du père au blason de la mère, du dogue du père du perroquet de la mère. Le petit chien des enfants échappe à ce classement méthodique.
Deux filles avec un perroquet et un chien
Fin XVIIème, Artiste inconnu
Lord John Hay et Charles, Master of Yester (plus tard 3ème Marquis de Tweeddale)
Gilbert Soest, vers 1670, Yale Center for British Art
Ces deux tableaux appartiennent à la mode très répétitive des portraits d’enfant en extérieur avec perroquet et chien (voir Le perroquet, le chien, l’enfant ) : un peu comme la vogue des photos de bébés sur fourrure au milieu du XXème siècle.
Dans le tableau de droite, le petit chien et le perroquet ont été laissés au plus jeune garçon ; le plus grand tient en laisse un animal bien plus intéressant : un chien sur lequel on peut monter, à en croire la selle sur son dos.
Les filles et le fils de Robert Smith
1718, James Maubert, collection privée
Robert Smith était un marchand important de la City. Son fils unique et dernier-né, Lillie, est représenté trônant comme un sultan sur un coussin, les grappes de la prospérité pendues au dessus de sa tête. Celui fera effectivement un beau mariage et une belle carrière, devenant directeur du Sun Fire Office, la plus vieille compagnie d’assurances au monde (https://en.wikipedia.org/wiki/Thomas_Aynscombe)
La première soeur l’enlace, la seconde lui touche la jambe en tenant de l’autre main un cocker, la troisième le désigne du doigt. La soeur-aînée, à droite, vêtue d’une belle robe et d’un diadème de fleur, s’occupe de son perroquet comme bientôt de ses galants.
La Famille du Duc et de la Duchesse de Valentinois -futurs Prince et Princesse de Monaco
Vers 1730, Pierre Gobert, Collection Grimaldi, Monaco
Sous le portrait de ses parents (Antoine Ier de Monaco et sa femme Victoria) le futur prince Honoré III (né en 1720) présente au spectateur ses deux soeurs et ses trois frères. De gauche à droite, le petit François (1726) tient en laisse un singe et une colombe réfugiée dans les bras de la petite Marie-Françoise (1728), elle-même réfugiée dans ceux de la soeur aînée, Charlotte (1719) . Charles-Maurice (1727) tient un fruit que le singe essaie d’attraper. Charles (1722) caresse la tête d’un épagneul, sous l’oeil jaloux du perroquet perché sur le vase.
Tel un plan de table, le tableau obéit à un ordre de préséance précis. Les trois aînés – les plus proches de l’âge adulte – sont assis : au sein du groupe des enfants, ils jouent par délégation le rôle de parents. Les deux aînés (le prince héritier et sa soeur aînée siègent sous le groupe des parents, tandis que le second frère est à l’écart du Palais, côté parc. Les deux chiens de chasse appartiennent aux deux frères-aînés : celui qui règnera n’a pas besoin de le toucher, car il étend déjà son autorité sur l’ensemble de la petite famille ; celui qui ne règnera pas caresse son chien, en lot de consolation.
La soeur-aînée a pour protégée sa petite soeur, laquelle protège la colombe ; Charles-Maurice protège le singe ; François n’a pas d’animal en propre, mais tient en laisse la colombe et le singe : ainsi quatre favoris suffisent à afficher la capacité de parentalité des six enfants.
On voit bien ici que les animaux, dans ce type de portrait dynastique, n’ont pas seulement un rôle amusant pour rendre la composition plus vivante : ils manifestent aussi la capacité de la Famille à se perpétuer.
Quant au perroquet, à l’écart et en hauteur, il semble tenir à l’oeil la marmaille et la ménagerie, émissaire chamarré des véritables parents – le couple régnant dans son cadre doré.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Famille_Grimaldi
Portrait de la famille van Assche
Louis François Gerard van der Puyl, 1776, collection privée
Dans cette famille modèle, le père joue du violon, la mère tient dans sa main gauche une tabatière ornée d’un portait de son mari et de sa main droite la laisse du petit dernier, qui tape sur son tambour pour accompagner la musique. La grande soeur recopie sagement un modèle avec un compas, l’autre soeur apporte une corbeille de fruits et le frère retient le chien par son collier, attirant l’attention sur le nom de famille qui y est inscrit.
L’intérêt de cette composition est qu’elle superpose habilement le triangle des six personnages et un triangle animalier qui vit sa vie propre, basé sur les deux poncifs habituels :
- le chien veut attraper le perroquet,
- le perroquet est intéressé par les fruits.
Au sommet du triangle familial, le Père et la Musique ;
au sommet du triangle animal, le Perroquet et la Parole.
Le chirurgien Christian Fenger, sa femme et sa fille
1829, Martinus Rørbye, Ribe Kunstmuseum
Les animaux ici n’interagissent plus avec la famille : ils font partie des meubles et du confort, au même titre que le beau poêle surmonté de da tête d’Hermès. Le chirurgien et sa grande fille jouent aux amateurs d’estampes, tandis que la mère tricote.
Le Prince Ernest and le Prince Edward de Leiningen avec Islay et un ara
Sir William Charles Ross, miniature à l’aquarelle sur ivoire, 1839, The Royal Collection Trust, London
Les enfants jouent avec le skye terrier favori de la Reine Victoria, Islay. Le prince Ernest tend un biscuit au perroquet et montre du doigt le chien qui fait le beau, dans l’espoir d’en avoir un lui-aussi.
Au grenier
Ange François, vers 1850, Collection privée
Deux pigeons sont entrés dans le grenier par la vitre cassée. Deux enfants y sont montés pour jouer. Le garnement tire un chat par sa queue en tendant la main vers sa soeur, pour demander le biscuit quelle tient hors de sa portée, préférant le donner au perroquet.
Peut-être faut-il comprendre que le garçonnet à la griffe préhensile, au chapeau rouge prolongé d’un plumet, est pour elle comme un grand perroquet capricieux, qu’elle joue à faire enrager.