La chanson française est-elle destinée à être à chier ?
(Ou de l’art de tirer sur un hôpital tout en conduisant une ambulance)
Entre la rasta blanche Jain, le gitano-lover Kendji Girac (et sa doublette maléfique, les Fréro Delavega), les faux zookeurs à la Keen’ V et faux rappeurs à la Jul, ou bien l’insoutenable Vianney, on est assez vernis en ce moment question chanson française. « Karma is a bitch » comme on dit, et peut-être faut il y voir un signe de vengeance divine pour avoir été le pays qui a permis à Indochine ou Yannick Noah de déverser leurs immondices musicales aux oreilles du monde. Si ça se trouve, Dieu a “Petite soeur” de Lââm dans la tête depuis 2005 et il craque total ! On ne pourrait pas lui en vouloir, après avoir dû tout subir, de Richard Cocciante à Priscilla, de nous renvoyer l’ascenseur (sans Calogero dedans, ndlr).
Alors oui, la France produit un sacré paquet de daubes musicales, de singles prêts à l’emploi où la recherche s’arrête là où le trémolo dans la voix commence, mais finalement, en produit-elle plus qu’ailleurs ? Serait-on si centré sur notre petit nombril que nous serions devenu incapables d’apprécier ou de reconnaître le talent de certains de nos compatriotes ? Ou bien est-ce de la jalousie mal placée à l’idée que quelqu’un d’autre réussisse ? Un autre français en plus Monsieur, rendez-vous compte ! Tous dans la médiocrité ou pas de quartier ! Pour tenter de répondre à toutes ces questions hautement philosophiques, le Limo a tenté de dénicher les perles rares que nous a offert la chanson française à travers ces dernières décennies, afin de voir si nous avons (vraiment) à avoir honte de notre patrimoine musical.
La chanson « vieux bons »
Une fois n’est pas coutume, c’est du côté des anciens qu’il faut se tourner pour trouver les meilleurs sons. Nostalgie mal placée ou véritable phénomène, on ne peut que constater l’hégémonie des vieux quand il s’agit de faire des textes et des musiques qui restent des tubes à travers les âges.
On commence avec un morceau de Jacques Dutronc, sûrement un des plus perchés qu’il ait pu produire, « Hippie Hippie Hourra », qui sera reprise plus tard par les Black Lips. Faire du son psyché quand on a une bonne gueule, les Beatles ont essayé, Dutronc l’a fait !
En France, on a également de l’humour (enfin il paraît). Les Yéyés n’en étaient donc pas dénués, comme le prouve les trois prochaines chansons « Heureusement qu’en France on ne se drogue pas » d’Alain Kan (qui a littéralement disparu en avril 1990 sur les quais de St Lazare, ndlr) , « Les filles c’est fait pour faire l’amour » de Charlotte Leslie et « Ah! Si vous connaissiez ma poule » du grand Gainsbourg. Double sens et jeux de mots ont toujours fait partie de la spécificité des paroliers français. Et on ne vous parle pas ici de phrases type : « Si tu mets une claque au videur, courir très vite tu devras », d’un chanteur qu’on appellera Jean-Michel J’enfonce-Des-Portes-Ouvertes hein… On vous parle de chansons qui font passer l’émotion, la vraie !
Et puis bien sûr, la chanson française, c’est aussi parler d’amour et des sentiments d’une façon bien particulière. Si l’on écoute Michel Polnareff « Love me, please love me », Alain Bashung et son « Vertige de l’amour » ou encore Christophe et « Les mots bleus », on ne peut qu’applaudir le génie dont ils ont fait preuve pour parler des relations amoureuses. Des beaux textes, de l’émotion, ça change des magazines, hein ?
La chanson « variété mais pas trop non plus »
La variété française est peut-être le mot le plus fourre-tout dans notre langue. Si on pense instinctivement à des horreurs, il paraît que certains se debrouillent plutôt bien, tellement bien que ça s’exporte (coucou les « Stromae and the Queen »). Mais si même les plus réfractaires d’entre nous ne peuvent que s’incliner face à ces artistes, ou à un Mathieu Chedid en live, d’autres comme Bénabar ou Zazie sont toujours sujets à des questionnements existentiels : est-il légitime de mettre de l’accordéon dans toutes ses chansons ? Peut-on décemment faire une chanson sur l’homosexualité avec un jeu de mot comme “Adam & Yves” ? Est-il possible d’arrêter de faire les louanges du Larzac quand on habite dans le 7ème ? On pourrait trancher en disant que, comme dans les années 60, des artistes talentueux ont porté haut les couleurs de la France, entraînant avec eux une flopée d’artistes moins bons mais plaisant au plus grand nombre. Si l’on se concentre sur les bons, on peut également parler de la clique des Arthur H, Dominique A, etc… Bref dans la « variété » il y a des trucs bien, et de la merde. On vous avait prévenu qu’on allait pas être très profond hein.
La chanson “dreadlocks à la bière & art du cirque”
(Attention, le paragraphe suivant est classé PEGI18 : peut contenir des scènes de violence)
Quand on parle de diversité dans la chanson française, on pense métissage, partage, “on va passer un bon moment”. C’est vite oublier son côté obscur. Dans notre cas, notre beau drapeau bleu-blanc-rouge peut se targuer d’avoir mis au monde une flopée d’immondices ayant pour cible une population que vous connaissez certainement : ceux que les sociologues honnêtes appellent les “baboss à sarouels”. Soyons clairs, loin de nous l’idée de stigmatiser. Stigmatiser c’est mal. Mais force est de constater que quand on a 15 ans (ou pire, 18) et qu’on se fait des atebas entre copines en regardant les yeux pleins de magie Max qui fait des bollas enflammées et crachant du feu, notre playlist pourrait tout à fait rejoindre la longue liste des instruments de torture de la grande guerre. Commençons par la figure de proue de ce mouvement inavouable à l’étranger: Tryo. Quarantenaires restés bloqués dans une crise d’ado mal soignée, faussement préoccupés par les enjeux socio-économiques gentiment résumés dans des “ouh les méchants qui polluent la planète” ou encore “oh le gentil garçon qu’il a perdu sa maman dans la guerre et nous on est triste malgré qu’on a de quoi manger”. Extrait douloureux (surtout pour les consciencieux de la grammaire), que même les meilleurs d’entre nous auront pu chantonner, entre un dijeridoo et un djembe en buvant de la bière de mauvaise qualité, chaude qui plus est.
Mais attention, ceux-là sont loin d’avoir le monopole puisque c’est toute une vague qui noyait cette frange frivole et incertaine de notre jeunesse dans la bien-pensance aux embruns de marie-jeanne (de mauvaise qualité, elle aussi). Parmi eux, on peut citer le “collectif” Sinsemilia qui nous souhaite tout le bonheur du monde, on leur souhaite en retour de ne pas trop trop durer non plus. On trouve également La Rue Kétanou (magnifique jeu de mots pour éduquer notre jeunesse à l’art du calembour), mais aussi dans une moindre mesure Les Têtes Raides, Debout Sur Le Zinc, et autre noms tarabiscotés qui montrent Konédéfou (ce groupe n’existe pas, ndlr). On clôturera d’ailleurs ce sujet douloureux avec une magnifique rencontre au sommet, Tryo et les Ogres de Barback qui remplissent leur mission d’éducation sexuelle auprès des jeunes les plus fragiles :
La chanson “famille illégitime”
Si de nombreux artistes rendent hommage ou exploitent le filon du rap à travers leurs reprises foireuses (combo perdant guitare sèche + mimiques « j’ai la turista », TMTC), et se découvrent une passion subite pour les musiques urbaines, les véritables MCs peinent encore à trouver une crédibilité artistique dans le paysage musical français… Bien loin de celle offerte aux artistes US. Alors certes, Nekfeu a récemment remporté un prix aux Victoires de la Musique, mais soyons sérieux 2 minutes : QUEL ARTISTE HONNÊTE SE SOUCIE ENCORE DE CES FOUTUES VICTOIRES DE LA MUSIQUE ?! Désolé Nek Le Fenek, mais y a encore du boulot… Ceci dit, ne nous énervons pas ; nul besoin de compétitions retransmises sur les déchetteries à ciel ouvert qui nous servent de chaînes télé, pour se faire une culture hip hop.
Pour commencer, on va donc s’écouter « Bons baisers du poste » des Sages poètes de la rue ainsi que « K’1 fry invasion » de la Mafia k1 fry.
Mais réduire le rap aux seuls « anciens », aussi bons MCs soient-ils, équivaudrait à réduire au silence des « MCs-chansonniers » hors-pair de notre époque, à l’image du poids lourd Oxmo Puccino et des moins connus mais tout aussi talentueux Kacem Wapalek, Odezenne, ou encore Hippocampe Fou . Après un passage obligé par le « rap classique », ces « personnages » du rap-jeu, se réapproprient le rap avec une certaine intelligence et une très belle plume (bien que l’aspect « chanson » de certains de leurs morceaux puisse déplaire aux puristes, mais restons objectifs), là où La Fouine n’en finit pas de vomir des paroles insipides à nos oreilles déjà meurtries par les voix de crécelle des chansonniers bobo-parigo. Non ceux-là jouent avec les mots, passent des messages, nous font rire et pleurer.
En 2016 donc, le rap régnera toujours en maître sur la créativité de la chanson française (hormis les rappeurs en carton cités au début de cet article bien entendu). Si vous n’avez pas encore regardé ça, les Grünt sont des purs moments de plaisir et de freestyle comme à la belle époque, et peuvent même constituer une des preuves que la chanson française n’est pas morte, non non, elle « kick » juste tranquille :
La chanson “en fait c’est bien aussi la pop en français”
Le terme « pop » associé à « chanson française » pourrait faire un peu peur. En effet, c’est un peu comme associer “métal” à “symphonique” ou bien “garage” à “girls band”, on sent direct la ficelle musicale arriver ! Certains ont donc essayé de faire de la pop française. Et beaucoup se sont cassés les dents, à l’instar de Joyce Jonhatan ou encore Yelle, qui nous ont assommé à coup de gros tubes calibrés pour NRJ, et le rayon mode du Leclerc de Bourg en Bresse. Mais d’autres ont tenté de relever le niveau, avec un certain talent on peut le dire (haters gonna hate, ndlr). Aline, Perez ou encore François & The Atlas Mountain nous ont régalé avec leur pop franchouillarde et aux références variées. C’est même devenu une mode ! Plus de complexes désormais, on peut par exemple faire du british et chanter en français, pas de problèmes ! Et en regardant le dernier clip de La Femme, on constate que c’est bien parti pour durer :
On pourrait également vous citer des dizaines d’exemples, de L’Impératrice qui met le feu à chaque passage en live, à Sébastien Tellier qui, qu’on aime ou pas le personnage, a toujours fait le job, en passant par Flavien Berger et ses belles friandises sonores toutes « sweet » :
La chanson “souterraine et catacombes”
Ce nouveau vent « french popeux » plus ou moins frais, et surtout son succès populaire, semble amèner le public et les artistes à une curiosité régénérée. Qui passe d’une évolution logique de leurs goûts à une envie renouvelée de découvertes “made in France” (mais pas trop “marinière” non plus…).
La chanson française a toujours, au cours de son histoire et de son évolution, été parcourue de belles choses un peu méconnues. Nous par exemple, on kiffait complètement les bretons de Montgomery et leur rock pop psychédélique très joli, légèrement en avance sur cette nouvelle sphère indie de France – leur dernier album étant sorti en 2008 – et qui n’ont donc pas vraiment profité de cette impulsion.
C’est d’ailleurs pour nous assez clair : c’est dans “l’underground” que l’on trouve les nouvelles bouffées d’air qui rempliront peut-être les grandes montgolfières de demain, mais qui pour l’instant ont besoin de têtes chercheuses pour perforer les murs régionaux qui les empêchent parfois d’atteindre les oreilles d’un plus large public. Et c’est d’ailleurs le rôle d’un des collectifs les plus reconnus du moment, nommé La Souterraine. Des passionnés qui éditent des compilations à prix libre, rassemblant des groupes entre pop, expérimentations et chansons pures, en français. Pour ceux que ça intéresse, on vous en parlait un peu plus longuement par ici, et même un petit peu par là.
Et s’il fallait ne citer qu’un seul groupe de cette galaxie “underground en chanson” ça serait certainement les géniaux et déstabilisants toulousains d’Aquaserge (que vous devez peut être connaître via leur batteur, qui est aussi celui des Tame Impala). Maîtrise technique bluffante, sourires en coin, et mélodies qui rentrent dans la tête, voilà leur formule (pas toujours évidente on est d’accord !) :
Rien ne vous empêche aussi de chercher du côté du rock abrasif, comme avec les foufous bordelais de Cheveu, que l’on mentionne là, de suite, il faut l’avouer, juste pour se faire plaisir. Même s’ils alternent l’anglais et le français, les mecs démontrent tout de même ce que l’underground apporte aujourd’hui à la chanson française : du cassage de barrières pur et simple.
Pour finir aussi librement que ces musiques aiment à l’être, mentionnons le rappeur Hyacinthe, qui, d’un rap intriguant et malsain, dévie de plus en plus vers cette nouvelle scène de chansons expérimentales (la Souterraine lui avait d’ailleurs consacré une petite rétrospective). La preuve avec son dernier morceau clippé, loin des formats, des beats, du bon goût, loin du monde en fait :
Conclusion & Ouverture (d’esprit)
On va terminer là car le sujet est aussi vaste que notre subjectivité et nos goûts semblent aléatoires, et puis vous devez certainement être fatigués de l’index à force de scrolling (pauvres bichous…). On aurait aussi pu vous parler de tous ces chanteurs humoristico/poético/lover qui sont assez bien représentés dans l’hexagone – mais cela fera l’objet d’un prochain article (teasing!).
Alors oui, la chanson française est décriée, moquée, raillée par ses détracteurs. Les jaloux diront Christine & the Queens, mais ceux qui savent ouvrir leurs oreilles répondront Etienne Daho (on t’aime Etienne !). Oui, nous avons de bons artistes, de bons interprètes aussi, mais c’est ce qu’ils font de leur talent qui pose parfois problème. Il n’y a pas une mais des chansons françaises, et les plus intéressantes sont malheureusement noyées dans une logique de marché, destinée à faire vendre un max de compil’ pour la semaine du boudin chez Carrefour. En apparence donc, c’est souvent nul à chier, on peut le dire, mais si on creuse un peu on trouve des artistes talentueux, qu’on est fier de faire découvrir à nos potes Erasmus. Donc donnez-nous plus de bon son bordel !!
Et puis si jamais chanter dans la langue de Voltaire se révèle être un exercice trop compliqué pour vous, n’oubliez pas que des paroles bancales mais traduites en anglais passent toujours mieux (coucou Jeanne Added). Et quant à vous fidèles lecteurs, continuez à être curieux et fiers de la musique de votre pays, parce que ce n’est pas partout qu’on peut trouver une production aussi hétérogène…
Peace !
La team Limo
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Clémence DL
Chroniqueuse rock du Limo mais ouverte d'esprit.Sur une île déserte, j'emporterais "Meddle" de Pink Floyd et "Ziggy Stardust" de David Bowie.
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