Un film de François Ozon (2007 - UK, France, Belgique) avec Romola Garai, Michael Fassbender, Lucy Russell, Sam Neill, Charlotte Rampling
Romantico-kitsch
L'histoire : Fin du XIXe, Angleterre. Angel vit dans un petit village rural, avec sa mère, veuve, épicière. Mais elle a une imagination folle, prétend être la fille d'un aristocrate, rêve devant la splendide maison des riches du coin, et transcrit tous ses fantasmes sur le papier ; elle sera écrivain, riche, célèbre, adorée. Son premier roman plaît à un éditeur londonien et fait un triomphe. Reçue dans le grand monde, Angel est pourtant méprisée par les bourgeois : elle n'a aucune culture, elle a de mauvaises manières, son livre est un torchon que seuls les petites gens peuvent apprécier et elle s'habille comme une princesse de pacotille. Elle rencontre Esmé, peintre en devenir, qui se moque d'elle...
Mon avis : Un drôle de film, une fantaisie, une expérience, que beaucoup ont dû détester. Moi j'adore forcément vu que je suis une romantique invétérée et que je ne lis QUE la littérature du XIXe siècle ! Mais le traitement de l'affaire, qui au départ semble une belle histoire romanesque dans l'Angleterre victorienne, apporte une fraîcheur de ton tout à fait insolite. Encore faut-il piger que c'est du second degré... Ozon ne se moque pas, mais il s'amuse avec les codes d'un genre, d'une époque, en mêlant techniques modernes et anciennes (paysages statiques derrière acteurs en mouvement, extravagance du personnage, qui ne colle pas trop aux codes victoriens, décors et costumes ultra kitsch... mais images super soignées et mouvements de caméra hyper fluides et délicats).
Les personnages sont bien plus profonds qu'on pourrait le croire au premier abord. Angel est totalement exaltée, comme dans les romans victoriens, carrément gothique sur la fin, mais en même temps résolument moderne. Elle veut vivre de sa plume, elle veut être riche et célèbre, elle veut tout et surtout pas que des événements extérieurs viennent gâcher son rêve éveillé. La guerre ? Quelle guerre ? Elle ne veut pas en entendre parler. A l'instar de ces gamins d'aujourd'hui, trop gâtés, qui réclament toujours le dernier iPhone et ne sont pas au courant de ce qui se passe dans le monde.
Angel, et son mari, représentent aussi l'art d'une façon très contemporaine. Angel est publiée parce que l'éditeur sent qu'il va vendre, alors même que sa femme et d'autres insistent pour lui faire comprendre que son style et ses histoires sont médiocres. Quand les chiffres baissent, il ne fait rien pour aider Angel, elle ne lui est plus utile, même s'il est amoureux d'elle. Angel est comme ces écrivains "fulgurants" d'aujourd'hui, controversés par la presse dite intellectuelle, mais qui font des cartons en librairie pendant un an, deux ans, trois ans et puis plus rien. Parce que ce ne sont pas de "vrais" écrivains, qui portent ça dans leurs tripes ; ils aiment écrire, mais font toujours la même chose et ne parlent au final que d'eux-mêmes.
Esmé est un peintre raté, médiocre, bien qu'il se prenne pour un artiste incompris (et peut-être l'est-il). De par sa célébrité, et connue pour son mauvais goût en toutes choses, Angel essaie de le lancer, mais en vain bien sûr. L'art est quelque chose de magique ; si vous n'avez pas l'étincelle de génie qui illumine vos oeuvres, rien de fonctionnera vraiment auprès du public, qui est moins idiot qu'on ne le pense. Esmé ne percera jamais.
Il y a dans ce film toute une réflexion sur l'art qui est très intéressante. Ozon précise que le personnage d'Angel l'a interpellée dans son côté frénétique : elle veut écrire, elle veut être célèbre. Et pourquoi pas ? Distraire le monde un instant et se faire oublier. Pourquoi pas ? Faire une oeuvre qui restera admirée pendant des siècles... à quoi bon ?
Réflexion sur la société aussi, la bonne société urbaine qui n'accepte jamais vraiment le plouc provincial.
Car malgré sa fortune, Angel est méprisée par tous. Sans éducation, sans manières, elle porte des tenues voyantes, mais pas du tout à la mode (bon, d'accord, il faut avoir l'oeil fashion pour le voir, hé, hé, hé) et décore sa maison avec un goût affreux, totalement kitsch. Mais elle, elle trouve ça beau. Sur la fin, quand rien ne va plus, elle finit seule, solitaire, un peu zinzin, et vêtue comme dans le passé, en robe longue et capeline à fleurs, même pas assorties car elle n'a plus l'envie, alors que, après la guerre, la mode est passée au court, qu'il s'agisse des cheveux ou des robes.
Angel, c'est la fin d'un monde, caricaturé avec tendresse par le réalisateur. Un monde où l'art n'était plus réservé aux besogneux dans des ateliers, d'où sortaient quelques maîtres absolus, qui pour la plupart ne furent reconnus que longtemps après leur mort. A la fin du XIXe, avec toutes les innovations techniques, tout le monde pouvait se lancer, sans faire d'école particulière, connaître la gloire et puis l'oubli. Un monde où tout semblait possible. Avant qu'il ne sombre dans la guerre.
Ca ne vous fait penser à rien ? Un film visionnaire, je dirais...
Angel est adapté d'un roman du même nom, écrit par Elizabeth Taylor (non, pas l'actrice), qui lui-même s'inspire de Marie Corelli, qui au XIXe publia bon nombre de romans à l'eau de rose qui connurent un vif succès (même la reine Victoria en était friande dit-on) puis sombra dans l'oubli.
Les critiques presse sont excellentes. Des commentaires dans lesquels je me retrouve : "le film d'Ozon reflète des stéréotypes idéologiques de notre époque" (Positif) ; "Voir Angel (...) c'est déguster des bonbons à la rose qui dissimulent un goût de poivre. On croit plonger dans de la guimauve (...) tandis qu'un goût de piment nous prend à la gorge." (Elle) ; "Le nouveau film de François Ozon est ainsi plus dans l'air du temps qu'il n'y paraît, ce qui ne l'empêche pas, et c'est heureux, d'investir sur le charme d'une reconstitution historique impeccable" (Le nouvel Obs).
Mais le film n'a pas rencontré son public. 173.000 entrées seulement et beaucoup de réflexions qui laissent à penser que beaucoup de spectateurs n'ont vu que le côté kitsch...