Nous savons tous, ou pouvons le comprendre, que le vote est la plus mauvaise manière de prendre une décision conforme aux principes de la démocratie.
A tel point qu'il y a confusion mentale, instillée par les systèmes institutionnels, entre vote et démocratie, y compris dans les idées de millions de citoyens honnêtes et de penseurs avisés.
Cependant, le dirigeant pragmatique peut dans certains cas faire appel à ce procécé pour départager entre des points de vues différents. Ou entre des personnes portant des projets différents.
Voilà que la construction européenne souffre à nouveau de cette anomalie simplificatrice.
Les "non" français et néerlandais au projet de constitution antérieur avaient pour motif principal que ce projet n'était pas assez bon.
Mais lequel d'entre nous, si on lui propose de diviser ses ennuis par deux, va dire non au seul motif qu'il veut que tous les ennuis soient oblitérés ?
Cette erreur de jugement n'est maintenant plus qu'un épisode historique, dont certains partis ou certaines tendances portent, sans parfois toujours bien l'assumer, la responsabilité.
J'ignore en ce moment les raisons du "non" de nos amis Irlandais, dont j'ai pourtant entendu dire que dans les dernières années leur destin s'était un peu amélioré du fait de leur appartenance à L'Europe.
Historiquement, ce peuple fier et courageux a eu bien des malheurs. Et il n'est pas pour rien dans certains traits de caractère d'une grande puissance mondiale facile à identifier.
Cependant, la situation qui est en ce moment la nôtre est que le point de vue de cinq cent mille (décompte très large de l'écart entre les "oui" et les "non") européens dicte arithmétiquement sa loi à cinq cent millions...
Comment une proportion d'avis représentant un millième des personnes concernées peut-elle bloquer un processus d'amélioration ?
Sur un sujet concernant les européens dans leur ensemble, il est je crois démocratique, au sens plein du terme, de leur demander de prendre globalement la décision qui les engage, qui nous engage.
Le processus de consultation mis en place, lui, ne l'est fondamentalement pas, car il n'y égalité ni entre les citoyens européens, ni a minima entre les nations constituantes. Du fait de la disparité des modes de consultation. Et de celle du nombre de sujets de chaque entité.
-Ou bien chaque nation travaille au second degré, et ce sont les représentations nationales élues qui choisissent,
-Ou bien l'Europe travaille de manière plus directement démocratique, et alors le même jour, dans les mêmes conditions, les citoyens de toutes les nations européennes s'expriment selon le principe une tête = une voix, sans que la nationalité impose une pondération intermédiaire.
Après tout, si nos frères Irlandais, dans leur majorité, préfèrent l'Europe très ingouvernable et pas très compréhensible définie par les textes actuels à l'Europe un peu plus gouvernable et un peu intelligible du projet qu'ils ont rejeté, c'est leur choix. Mais pourquoi s'impose-t-il aux autres ?
La première question démocratique que cela pose est, à mon avis : le gouvernement du peuple par le peuple est-il possible si la règle du jeu n'est pas uniforme ?
La seconde est : le droit de dire non à la solution d'une difficulté peut-il exister de manière indépendante du devoir de proposer une autre manière cohérente et pertinente de la résoudre ?
Crédits. Merci à Marcel Duchamp pour son travail The Bride Stripped Bare by Her Bachelors, ou La Mariée mise à nu par ses célibataires, même (1915-1923), alias le Grand Verre.
La découverte du lien entre le fond du sujet et le titre de l'illustration est laissée à la sagacité de mes lecteurs...
Nota. J'ai classé ce papier dans la thématique Euro 2008...D'une part parce qu'il semble, du fait des choix offerts, que le fouteballe soit la préoccupation européenne majeure, et d'autre part parce que je pense que c'est l'Europe qui vient de marquer contre son camp dans le Mondial en cours...