Mon petit-fils Alexis, 2 ans et demi, fait sa sieste à 5 mètres de l’endroit où j’écris ce message. Il est paisible, toujours souriant. Pour lui, l’avenir se résume à peu de choses : sa maman viendra le rechercher en fin d’après-midi ; plus loin peut-être sent-il de plus en plus qu’il aura – dans un peu plus d’un mois – une petite sœur. Ce matin, à l’école, il a bricolé autour d’œufs et de lapins. Il s’est aussi marré, lors de son repas de midi, avec son oncle Jérôme. La vie, dans toute sa simplicité, sa beauté, son insouciance.
Hier, plus de trente personnes sont mortes, à quelques kilomètres d’où se trouvait Alexis. Grâce à la qualité de ses éducatrices et de ses parents, je suis sûr que ces attentats sont passés au-dessus de sa tête. Peut-être aura-t-il perçu un frémissement. Mais sa vie insouciante n’aura pas été bouleversée pour autant. Et c’est tant mieux.
Mais demain ? Et après-demain ? Quel monde sommes-nous en train de préparer pour nos enfants et nos petits-enfants ? S’il n’y avait que cette violence absurde et (de moins en moins) ponctuelle, on pourrait ne pas trop s’en inquiéter. Mais il y a tout le reste. Cette manière de gérer notre Terre sans trop s’occuper de tout ce qui la détruit. Cette manière de s’enfermer sur soi-même sans trop s’occuper de tous les autres humains, pareils à nous-mêmes, qui cherchent désespérément un endroit pour vivre sereinement. Cette manière de juger péremptoirement et violemment des communautés qui ne rêvent – comme nous – que de paix constructive, d’amour simple et de respect mutuel. Cette manière de croire qu’on détient la vérité, alors que la seule certitude est qu’on ne sait rien.
Hier matin, lorsque j’ai découvert l’horreur, mon corps fut pris de révulsions, dans tous les sens du terme. J’avais vraiment besoin de me vider de cette barbarie insoutenable. Ce devait être un jour bienheureux, différent des autres. Mon frère Bernard fêtait ses 65 ans, ce n’est pas n’importe quoi. Nous retrouvions le soir nos amis pour assister à une pièce de théâtre plaisante, sans être extraordinaire. De petits bonheurs qui faisaient que ce n’était pas un jour comme les autres. Par la faute de deux ou trois déshumanisés, il fut transformé en vide absolu.
Qu’on ne s’y trompe pas : ces déshumanisés ne se sont pas faits tout seuls. C’est notre fonctionnement sociétal qui les a construits. Nous sommes tous responsables. Croire le contraire serait vain.
Je ne crois pas trop au hasard. Hier, la pièce de théâtre – Belles de nuit – mettait en scène la rencontre entre une prostituée au grand cœur et un clandestin argentin. C’est du moins ce qui est présenté dans les programmes. Mais la pièce parle finalement surtout du souteneur. Dont la vie d’enfant a été bousillée. Lorsqu’il se rend compte, à la fin, que son « objet sexuel et financier » le quitte pour une vraie vie de femme, il prend son téléphone et dit le dernier mot de la pièce : « Papa ? ».
Si tous les terroristes du monde pouvaient dire – avant d’agir, mais avec le même espoir – ce mot « Papa ? », je crois qu’on n’en serait pas là aujourd’hui et qu’on pourrait – ensemble – construire un autre monde pour nos enfants et nos petits-enfants.
Alexis, je t’aime ! Garde ton insouciance, malgré tout.