Si les histoires d’amour finissent mal, qu’en est-il des histoires de famille ? Karin Slaughter, l’auteur de Pretty Girls, publié chez Mosaic, a visiblement une petite idée sur la question… Venue rencontrer les lecteurs Babelio, la prolifique auteur américaine, qui compte aujourd’hui plus de 30 millions d’ouvrages vendus, nous a montré qu’elle savait à la perfection jouer avec les nerfs de chacun. Une rencontre pour le moins glaçante, dont la traduction a été assurée par Fabienne Gondrand.
Depuis plus de vingt ans, Claire et Lydia ne se parlent plus, elles ne se sont jamais remises de la tragédie qui a terrassé leur famille. L’assassinat du mari de Claire et la disparition d’une adolescente, vont raviver leurs blessures et les obliger à se confronter, les entraînant dans une spirale sanglante et terriblement sauvage.
Littérature et médicaments
C’est suite à un problème de dos et à une prise de médicaments puissants que Karin Slaughter a imaginé son dernier roman, Pretty Girls : “Moi qui n’ai jamais pris de drogue ni fumé une seule cigarette de ma vie, le Tremadol a eu des effets incroyables sur moi et m’a donné des rêves complètement fous.” C’est en se réveillant un beau matin que l’auteur découvre des notes prises par ses soins pendant la nuit et qu’elle se lance dans le projet : “Ce rêve était très long, il contenait énormément de détails, presque les 50 premières pages du roman. Bref, je me suis dit que je devrais prendre des drogues beaucoup plus souvent !”
Récompenser le lecteur
Interrogée sur le processus de construction du roman, l’écrivain explique que ce qui fait le lien entre les idées éparses qui lui viennent sont les personnages : “Ce sont eux qui permettent de construire le roman. Il faut arriver à les rendre concrets et attachants car vous pouvez avoir une très bonne intrigue, si les personnages ne sont pas appréciés, votre roman ne fonctionnera pas.” Si les personnages sont pour partie responsables de la réussite d’un roman, Karin Slaughter rappelle malgré tout le rôle fondamental de l’intrigue : “J’écris des thrillers, l’intrigue possède par conséquent une place importante, au contraire d’essais ou de romans ésotériques. Mes romans doivent avoir un début, un milieu et une fin.” Écrire une intrigue complexe est une chose, mais pour Karin Slaughter cela est loin d’être suffisant : “A travers la progression de mes romans, je cherche à récompenser le lecteur, afin de gratifier ce dernier d’avoir été attentif. Je déteste les fins bâclées avec un twist final injustifié. De plus, je sais que les humains aiment les résolutions, c’est pour cela que le public du polar est si grand : car il y a toujours une fin.”
Un polar sans police
Grande première pour Karin Slaughter, l’enquête menée dans Pretty Girls ne se déroule pas du côté des policiers : “J’ai choisi pour la toute première fois de ne pas laisser la parole aux autorités. Ce livre était une belle opportunité de traiter de l’influence du crime sur les personnes qui subissent une catastrophe psychologique. Le crime fait partie de Claire et Lydia, les deux personnages principaux dont la sœur a disparu, et même si elles n’en parlent pas tout le temps, elles l’ont en tête chaque jour qui passe. Leur vie aurait été complètement différente sans cet événement du passé.” Pour une habituée des manœuvres policières, l’écriture de ce nouveau roman représente un véritable challenge pour l’auteur, qui a dû repenser toutes ses techniques de narration : “Je me suis volontairement placée en difficulté car lorsque je commence un nouveau roman, je cherche toujours à faire mieux que le précédent. Je ne voulais donc pas faire quelque chose de déjà fait et j’ai trouvé cela très intéressant.”
Une question de confiance
La question de la culpabilité de tel ou tel personnage est un élément caractéristique des romans policiers et pour Karin Slaughter, il s’agit d’une question fondamentale : “Je voulais que tout au long du roman le lecteur se demande qui est bon et qui ne l’est pas et par exemple d’essayer que mes personnages les plus détestables soient en réalité les moins mauvais.” Karin Slaughter confie ensuite à son audience que le travail autour de la voix du narrateur joue également un rôle considérable dans l’écriture romanesque : “En tant qu’écrivain, il faut savoir que je mens beaucoup. Je vous fais croire des choses car vous pensez que ma voix est fiable alors que je ne fais que jouer avec la vérité, ce que j’ai beaucoup de mal à faire dans la vraie vie, où j’accorde trop souvent le bénéfice du doute à autrui. En tant que lectrice, je suis bizarrement très mauvaise pour dénouer les intrigues !”
Histoires de famille
Étant la plus jeune d’une fratrie de trois soeurs, Karin Slaughter ne peut pas nier l’influence de sa propre expérience sur ses écrits : “J’adore écrire sur la famille car ça en dit beaucoup sur qui l’on est. Dans le livre, Claire est la plus jeune, donc forcément “la plus belle” et “la plus intelligente”. La plus vieille est “inexistante” et c’est la raison pour laquelle mon aînée n’a pas aimé ce livre, ce à quoi j’ai répondu qu’elle n’avait qu’à l’écrire elle-même !” Écrire sur la famille pour l’auteur de Pretty Girls, c’est pouvoir illustrer cette cohésion unique qui existe entre les membres d’un même foyer, qu’elle-même apprécie au quotidien lorsqu’elle rentre chez elle : “Dans ce livre, les liens familiaux sont très importants car les soeurs ont vécu quelque chose d’horrible ensemble. Quand je suis avec ma soeur nous parlons de choses que nous seules avons partagées et c’est bien cela qui nous lie. Je termine une tournée dans 5 pays dont je ne parlais pas la langue, et en rentrant chez moi, je sais que par delà les lieux familiers, je vais me sentir chez moi par le fait même de parler à ma soeur.”
L’anti 50 shades of Grey
Pour les lecteurs n’ayant pas lu le dernier roman de Karin Slaughter, le mari de Claire incarne l’homme parfait. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’auteur n’a pourtant pas cherché à incarner son fantasme personnel : “Le mari de Claire est ma réponse à Fifty Shades of Grey. Personne ne croit à l’homme parfait. Si Christian, l’homme de Fifty Shades, rencontrait des femmes d’aujourd’hui, la plupart appelleraient la police et les quelques unes qui en tomberaient amoureuses seraient probablement des folles ! Les femmes fantasment sur les hommes qui savent s’occuper d’eux-mêmes alors que les hommes cherchent des femmes dont il faut s’occuper. Claire s’ennuie d’ailleurs beaucoup aux côtés de son mari qui fait tout pour elle et c’est pour cela qu’elle se créé des problèmes, pour se sentir vivre.”
Littérature et féminisme
Souvent accusée d’écrire comme un homme, Karin Slaughter est ensuite interrogée sur sa position vis à vis du féminisme : “Je ne sais pas si ce livre est féministe, je pense l’être et oui, je pense que cela serait une bonne chose que les gens l’entendent comme cela. J’ai évidement une responsabilité en tant qu’auteur de dire ce qui est vrai, mais je fais avant tout du divertissement, donc mes idées politiques ne doivent jamais prendre le dessus sur mon intrigue. Si elles s’entendent, c’est bien, mais je ne cherche pas à rallier des gens à mes idées. Il en est de même pour la question du féminisme.”
Violence et hommage
Basé sur un fait divers américain, Pretty Girls est un livre plutôt violent, que Karin Slaughter a pu rendre plus réaliste en échangeant avec des agents du FBI : “J’ai notamment travaillé avec un agent chargé de surveiller internet, ce que j’appelle “mission impossible”. Il m’a fait remarquer que l’on peut vraiment trouver tout ce que l’on veut sur des sites grand public comme Youtube, de meurtres à l’arme blanche aux décapitations.” La violence est donc un outil romanesque pour Karin Slaughter, mais attention, pas n’importe quelle violence : “J’écris comme cela me vient, sans me poser la question du niveau de violence. En revanche, si je peux faire du mal à mes héros il m’est impossible de heurter des animaux dans mes livres !” Faire des recherches du côté du fait divers présente une certaine limite pour l’écrivain, qui ne veut pas légitimer l’action des criminels : “Je ne souhaite pas glorifier les mauvaises personnes. Je me suis rendue plusieurs fois dans des prisons et le personnel m’expliquait que les visites donnaient beaucoup de crédit aux criminels. Je ne veux pas raconter la vie de telle ou telle victime, je le répète, je fais avant tout du divertissement. D’ailleurs je reçois parfois des lettres de prisonniers qui me félicitent pour le réalisme de certaines scènes et ça me terrifie !”
La rencontre s’est ensuite poursuivie avec une séance de dédicaces, pendant laquelle les lecteurs ont pu échanger avec Karin Slaughter et partager avec elle les sueurs froides qu’ils ont eues à la lecture de son roman.
Retrouvez Pretty Girls de Karin Slaughter, publié aux éditions Mosaic.