L’inflation est une solution bien pratique pour étouffer les rentiers et noyer dans la monnaie de singe toutes ces dettes créées par une mauvaise gestion politique et une succession de déficits purement électoralistes. Malheureusement, il y a un petit souci : l’inflation en zone euro est actuellement négative, tout comme la japonaise et l’américaine s’établit péniblement à 1%. Zut, c’est trop faible. Vite, il faut faire quelque chose !
Bon, on l’a vu, la guerre contre le cash, trop pratique pour l’évasion fiscale, est actée. Une fois les grosses coupures envolées et toutes les transactions rendues électroniques, manipuler les avoirs et distribuer des sommes (virtuelles) sera beaucoup plus simple. Parallèlement, la petite musique du revenu universel, inconditionnel, permanent, ou que sais-je, est entrée dans les têtes, elle n’en sortira plus.
Mais voilà : pour que l’argent liquide soit complètement éradiqué et que le revenu universel soit mis en place, il faudra du temps, sans même compter les adaptations des institutions et de la société pour prendre en compte cette nouveauté.
Supprimer le cash demandera ainsi de retirer de la circulation les grosses coupures, puis les moins grosses, puis tout le reste. Cela suppose l’arrivée sur le marché de remplacement crédibles (paiement sans contact par téléphone portable ?) aux cartes électroniques de paiement dont les essais ont malheureusement tous prouvés que ça n’était pas bien accueilli par le particulier (Moneo, par exemple). On peut donc s’attendre encore à quelques années de propagande échevelée pour lutter contre la monnaie palpable et jolis papiers imprimés de la BCE ou de la Fed.
L’instauration du revenu universel, inconditionnel et bisou-compatible prendra aussi un temps incompressible, d’autant qu’il y aura toujours l’opposition farouche de deux franges de la population.
La première, c’est celle dont le pouvoir de nuisance est directement issu de la collecte et de la distribution des aides et allocations sociales multiples.
On retrouve toutes les administrations chargées du calcul de ces redistributions, de leur collecte, et bien sûr, tous les corps administratifs plus ou moins policiers qui se chargent actuellement de vexer et verbaliser lorsque la collecte ne s’est pas bien passée. Il va de soi qu’une simplification drastique de cette collecte et de cette redistribution, et la disparition des multiples usines à gaz qu’elles représentent (argument clé du Revenu Universel), n’arrange absolument pas ces gens-là dont les syndicats sont les plus vocaux à refuser la mise en place d’une telle chimère. En substance, pour eux, le Revenu Universel signifiant « moins d’État » par une contorsion logique dont ils sont seuls capables, ils s’y opposent farouchement.
La seconde, ce sont les libéraux un peu lucides qui comprennent d’emblée que simplification, il n’y aura pas, qu’universalité non plus, et que de financement il n’a jamais été vraiment question.
Il semble en effet évident que le Revenu Universel viendra s’ajouter à tous les dispositifs existants (les syndicats obtiendront ce qu’ils réclament, c’est une certitude), réduisant à néant tout vague bénéfice hypothétique de la mesure. L’universalité, quant à elle, sautera dès que certains observeront qu’elle permet même aux plus riches de recevoir quelque chose alors qu’ils n’en ont pas besoin, dépossédant les finances publiques pour les plus nécessiteux. De planchers en barèmes, on reviendra bien vite à l’une des abominations habituelles qui font le plaisir des élus du pays. Enfin, le financement sera évidemment assuré par la planche à billet, l’objet de ce « revenu » n’ayant jamais été autre chose qu’une méthode simple de distribuer directement du pognon aux populations sans passer par les banques qui ont une fâcheuse tendance à le thésauriser.
Bref : rien que pour contenter la première frange de population et faire taire la seconde, il faudra compter des mois. Le Revenu Universel n’est pas pour tout de suite.
Heureusement, rien n’interdit de prendre des raccourcis, de trottiner rapidement sur ce petit chemin qui ne sent pas forcément la noisette mais qui permet d’atteindre plus vite la route l’Autoroute de la Servitude, traversant la courte Prairie des Rêves Éveillés et juste avant l’épaisse forêt de Pénury.
Et l’un des raccourcis consiste assez simplement à distribuer de l’argent directement aux consommateurs. Non, non, vous n’avez pas lu de travers, et oui, c’est aussi simple que de le dire : en substance, il s’agit de combattre la déflation par une distribution de papier monnaie directement depuis le producteur (de papier imprimé) au consommateur (de tout le reste). Éventuellement, cette distribution peut prendre la forme de coupons ou bons de consommations donnant droit à des achats dans des commerces répondant à certains critères en fonction de l’orientation choisie par les politiciens. Si cela ressemble beaucoup à d’autres coupons, d’un autre temps, dans d’autres économies, ce n’est pas un hasard puisque c’est fondamentalement la même idée.
Évidemment, les journaux, même économiques, s’empressent de relayer cette idée pour bien faire comprendre que oui, le rêve humide est peut-être là, à portée de doigts : un jour, peut-être, des liasses de billets seront tendues directement des doigts potelés des banquiers vers les consommateurs trop heureux de cette nouvelle richesse.
Ce n’est pas la première fois que cette fantaisie apparaît dans les médias ; la dernière salve remonte même à l’hiver 2013 où l’on (re)découvrait le principe du déversement monétaire par hélicoptère. Et ce n’est pas la première fois qu’on en discute sans réellement envisager ce qui risque bel et bien de se produire.
En effet, ceux qui comprennent ce que veut dire ce largage aérien d’argent échangeront rapidement l’argent ainsi distribué par des achats réfléchis de métaux précieux, de biens immobiliers ou d’action (l’utilisation de « bons » ou de « coupons » n’y change rien).
Pour ceux qui ne comprennent rien à la monnaie, ce sera une autre paire de manches. Recevant l’argent frais, ils en trouveront essentiellement deux utilités : une petite partie ira à la consommation rapide, et l’autre sera thésaurisée, d’une façon ou d’une autre : il ne faut pas être grand clerc pour deviner qu’une distribution gratuite de billets (ou de coupons) cache mal une situation économique catastrophique. Faute de mieux, le bon sens commande donc de mettre l’argent (ou la valeur correspondant aux bons) de côté pour des futurs mois difficiles.
L’inflation n’interviendra qu’au bout d’un certain temps, difficile à évaluer, et risque bien, comme le dentifrice d’un tube sous pression, de passer rapidement de trop peu à beaucoup trop sans aucun contrôle possible de la part des autorités. L’histoire a en effet prouvé que ce genre de méthodes aboutit toujours à la catastrophe.
De toute façon, on voit mal comment éviter une inflation carabinée. On voit mal aussi pourquoi, subitement, les institutions financières internationales deviendraient lucides et compétentes alors que cela fait maintenant plusieurs années (plusieurs décennies même, dans le cas japonais) qu’elles ont montré leur totale inanité.
Bref, partant du principe faux que la déflation serait un mal insupportable, des signes inquiétants s’accumulent que nos dirigeants s’apprêtent à tenter tout (et surtout n’importe quoi) pour sortir de l’impasse dans laquelle ils nous ont fourrés énergiquement.
Le moment de vérité approche indéniablement.