Retour sur les grandes tendances e-santé du SXSW. Oui à la médecine de précision mais pas n’importe comment. Elle doit se construire sur la base de la collaboration entre le corps médical et scientifique, le secteur public et le secteur privé.
Le South by South West (SXSW) invite à penser les technologies comme une boîte à outils au service de l’humain. Une vision qui se ressent particulièrement dans les technologies liées à la santé. Depuis un an, la santé bénéficie d’ailleurs d’un traitement de faveur sur l’événement. Les innovations médicales et celles qui concernent la santé au sens large disposent d’un espace dédié sur le site du SXSW, le SX Health & MedTech Expo. Celui-ci a accueilli cette année plus de 50 conférences en lien avec le sujet mais aussi un peu moins d’une centaine d’exposants (start-ups principalement).
Mais selon Dana Abramovitz en charge de la direction du SX Health & Med Tech Expo, les grandes tendances de cette année se concentrent autour de deux axes principaux. D’une part, les avancées en matière de recherche sur le cerveau ; d’autre part, la collaboration entre les divers acteurs du secteur pour préparer la médecine de demain. « On voit beaucoup de projets émerger autour du cerveau et de la mémoire, à l’image des technologies qui se développent pour traiter les paralysies en agissant directement sur le cerveau. Par ailleurs, on observe des interactions fortes entre les différents acteurs de l’industrie de la santé qui font en sorte que les patients restent bel et bien représentés parmi ce flux d’innovations constant . Il est formidable de voir grandir un esprit d’équipe et de partage, une volonté de collaboration qui s’efforce de casser les silos et amènent des profils aux compétences variées, comme des designers par exemple », commente Dana Abramovitz, directrice du SX Health & MedTech Expo.
Dana Abramovitz, directrice du SX Health & MedTech Expo
La collaboration entre différents corps de métiers
L’édition 2016 a notamment accueilli un bel exemple de professionnels ayant des formations différentes et qui s’associent pour mettre en action le progrès médical, comme le raconte Dana Abramovitz : « Une session qui m’a particulièrement touché cette année impliquait un patient qui a perdu l’usage de ses bras suite à un accident grave, un ingénieur hardware, un neurochirurgien, et un physiothérapeute. Ils ont partagé les fruits d’une expérience qui s’est étalée sur plus de deux ans. De leur travail commun est née une petite puce développée par l’ingénieur, que le chirurgien a implanté dans le cerveau du patient qui a accepté de faire partie de l’expérience. Le physiothérapeute s’occupait, lui, d’observer quels muscles étaient activés grâce à la puce ».
On pourrait aussi citer le projet d’implantation de prothèses dans le cerveau du Docteur Ted Berger, directeur du Center for Neural Engineering à l’Université de Californie du Sud (projet dans lequel la DARPA a largement investi). Ce dernier a concentré ses travaux en particulier sur l’hippocampe, cette région du cerveau impliquée dans la création de nos souvenirs, dans le but d’aider les patients dont les facultés de mémoire ont été amoindries. « Nous souhaitions comprendre comment la mémoire de court terme se transforme en mémoire de long terme et quel rôle exact joue l’hippocampe dans ce processus. Tout souvenir débute avec un code : l’information perçue est enregistrée sous forme de code. L’hippocampe se charge de transformer cette information qui devient un souvenir ancré, encodé dans notre mémoire en quelque sorte. La visée de ce projet est de construire une mini prothèse pour l’hippocampe. Nous pouvons aider dans le cas où le cerveau démontre un petit trou à endroit précis. Une fois que nous comprenons exactement ce à quoi servait cette partie de l’hippocampe manquante ou endommagée, nous pouvons créer un modèle mathématique qui réplique cette fonction et le connecter à un petit fragment, une micro-prothèse que nous implantons dans le cerveau. Cette micro-prothèse se charge de transformer l’information en un code de long terme », explique le Dr Berger.
L’hippocampe peut être endommagé par différents facteurs : un traumatisme crânien, un manque d’oxygénation du cerveau, l’épilepsie ou encore le vieillissement et les maladies dégénératives comme Alzheimer. « Pour l’instant, nous avons expérimenté notre technologie sur des rats et des singes, avec succès. Nous sommes à l’heure actuelle en train de collecter des données sur des patients épileptiques qui ont consenti à faire part du projet. À terme, nous pensons qu’il sera possible de réparer les zones endommagées du cerveau et de redonner à des humains leurs facultés de mémoire », continue le Dr Berger. Plus fascinant encore, les équipes du Dr Berger ont même réussi à « augmenter » les capacités de mémoire de certains rats. Ne serions-nous donc plus très loin de l’ère de la « super mémoire humaine » ?
« Precision Medicine Initiative » : de l’étude du génome…
Lors de l’édition 2016 du SXSW, on a également beaucoup parlé de la digitalisation du secteur public, à commencer par les initiatives menées de front par le gouvernement américain pour innover. Bien évidemment, la santé a fait partie des discussions. Un peu plus d’un an après le lancement de la « Precision Medicine Initiative » par l’administration Obama, les progrès enregistrés par le gouvernement et les organisations partenaires sont notamment plus qu’encourageants. Initiée en janvier 2015 et soutenue par une enveloppe budgétaire de plus de 200 million de dollars, l’initiative affichait l’ambition de vouloir révolutionner la manière dont on approche la santé et dont on soigne les patients aujourd’hui et en particulier de développer des traitements en fonction du profil génétique de chaque individu. Les maladies ciblées en premier lieu par le projet : le cancer et les maladies génétiques rares. À terme, il devrait inclure la participation de plus d’un million de volontaires, prêts à partager leur dossier médical et des données issus de leur génome au profit de la médecine de demain, qui sera personnalisée.
Lors de la session intitulée « The President's Precision Medicine Initiative » au SXSW, Claudia Williams, senior advisor à la Maison Blanche a rappelé les fondamentaux de l’initiative: « Nous souhaitons pouvoir construire une base de données gigantesque, rassemblant des informations génomiques mais aussi relatives à l’environnement des patients, qui soit ouverte à tous, de sorte que les découvertes n’émergent pas seulement du corps scientifique, des chercheurs, mais surtout de la collaboration entre des acteurs de tous horizons ».
De gauche à droite : Taha Kass-Hout, John Wilbanks, Claudia Williams à l'occasion de la conférence « The President's Precision Medicine Initiative » au SXSW
Quel bilan pouvons-nous tirer aujourd’hui ? La FDA (Food and Drug Administration) auquel le gouvernement a alloué 10 millions de dollars sur le budget total, avait annoncé concentrer ses efforts sur le développement de tests ADN précis en mobilisant l’ensemble de la communauté impliquée dans la recherche sur le génome. « L’humanité partage ce trésor commun qu’est le génome. Et c’est la combinaison des gènes tout comme leur variation qui nous rendent unique. C’est également leur mutation qui sont à l’origine de maladies aussi tragiques que le cancer. D’ailleurs, 80 % des maladies ont été associées avec des mutations génétiques rares. Aujourd’hui rien ne nous assure que les tests ADN sont sûrs. Aussi un test réalisé à un instant t est-il toujours valable 6 mois plus tard ? Les résultats de tests ADN n’étant pas fiables, comment les décisions prises en conséquences peuvent-elles l’être ? Nous manquons de précision aujourd’hui. De surcroît, il nous reste encore beaucoup de choses à découvrir : 23% de notre génome est encore inconnu à l’heure actuelle. », explique Taha Kass-Hout, Chief Health Informatics Officer à la FDA.
Et la FDA a bel et bien mis en application les volontés du Président Obama avec le lancement en décembre dernier de la plateforme precisionFDA. « Depuis l’ouverture de la plateforme, plus de 1000 membres déjà, dont un tiers est basé en dehors du territoire américain, ont rejoint precisionFDA. Des chercheurs, des laboratoires pharmaceutiques, des organes de régulation, des entreprises de cloud computing, des fournisseurs de tests ADN, etc. Durant la première phase de vie du portail, l’idée est de fournir à la communauté un espace privé, pour évaluer la précision des tests ADN basés sur le séquençage nouvelle génération en permettant aux utilisateurs de benchmarker les tests, mais aussi un espace public commun à tous les membres où chacun peut publier ses résultats d’expérimentations. Le code est ouvert sur Github ! », explique Taha Kass-Hout.
…à la révolution de la santé dans son ensemble
Cependant comme le relève John Wilbanks, Chief Commons Officer chez Sage Bionetworks, une ONG qui repense la recherche biomédicale : « Si historiquement le gouvernement a considérablement investi dans la recherche scientifique, notamment génomique, la « Precision Medecine Initiative » s’étend bien au delà de la recherche sur le génome, c’est la santé dans son ensemble qui est concernée. Elle réconcilie la tech et la recherche médicale et scientifique de manière encadrée et régulée, ce qui est complètement révolutionnaire ».
Pour ce qui est de Sage Bionetworks, autre organisation contribuant à l’initiative, les avancées sont également palpables. L’ONG s’est engagée à rassembler des données sur des individus atteints de la maladie de Parkinson. Pour cela, dès le mois de mars commencera l’étude mPower qui permettra aux personnes atteints de la maladie de Parkinson, prêtes à se porter volontaires, de partager des informations clés par le biais d’une application smartphone à une communauté de scientifiques qualifiés. « Tout a commencé avec une question : existe-t-il une maladie dont on pourrait mesurer l’évolution avec un téléphone de manière assez précise ? Parkinson nous a semblé pertinente. L’application que nous avons créée permet d’enregistrer les tremblements, d’évaluer la dextérité avec laquelle vous écrivez un texto par exemple ou encore votre tonus musculaire. Dès lors, au moyen de ces indicateurs, nous sommes à même de décrire précisément la maladie et à terme, ceci pourrait constituer une matière précieuse pour développement des traitements qui améliorent la qualité de vie des patients atteints de la maladie Parkinson. Nous voulons réaliser cela à grande échelle, ce que nous avons déjà commencé à entreprendre mais en le faisant de la juste manière. D’un point de vue éthique et légal, nous devons proposer aux individus de participer à l’aventure en les informant de leurs droits et des implications de leur engagement. Et comme notre ambition est d’ensuite partager ses données, il est crucial que nous construisions un produit qui intègre cette notion de consentement de la bonne manière », explique John Wilbanks.
Home page d'mPower, initiative lancée par Sage Bionetworks pour collecter des données sur la maladie de Parkinson
On se souvient de l’esclandre provoqué en octobre 2013 par l’échec du portail Healthcare.gov. Pourtant, la réactivité du gouvernement - ce dernier a su rapidement s’entourer de forces vives pour faire fonctionner la plateforme - tout comme les avancées concrètes de la « Precision Medicine Initiative », démontrent non seulement une volonté forte de vouloir faire avancer le secteur public au rythme du progrès technologique en santé mais aussi une réelle capacité de mise en action. « Aujourd’hui, des entreprises comme Google ou PatientLikeMe réalisent des avancées considérables, ce qui est formidable. Pourtant, nous voulons créer une concurrence en matière de bases de données de santé ; ces dernières sont tellement précieuses que cela en devient une nécessité », commente John Wilbanks.
Il apparaît également intéressant de voir que la « Precision Medicine Initiative » rejoint la vision portée par le SXSW sur la médecine de demain : certes nous entrons dans l’ère de la médecine de précision mais elle ne pourra naître que de la collaboration entre les différents acteurs de l’industrie de la santé, patients et corps médical inclus.