Selon l'auteur, l'introduction du texte dans le Code pénal de 1810 visait à " protéger la société contre la vue de certaines scènes sexuelles. [...] la répression de ce délit avait pour but d'éviter de trop sexualiser la vie sociale, de lutter contre le libertinage et la débauche, qui risquaient de miner l'ordre des mœurs fondé sur le mariage et les sacrifices qu'il imposait. " N'oublions pas que l'étymologie du mot pudeur renvoi au latin pudor, qui signifie " honte ", héritage probable de la haine du corps instaurée par le christianisme. Pour répressif qu'il fût, l'article 330 représentait un progrès, dans la mesure où il opérait une séparation du droit pénal et de la morale religieuse. En effet, si l'Etat interdisait toute effusion dans l'espace public en dressant un " mur de la pudeur ", il laissait implicitement toute liberté d'exercice de leur sexualité aux citoyens dans le périmètre clos de leurs foyers.
On peut aisément l'imaginer, au cœur d'un XIXe siècle puritain qui, progressivement, " avait fait de la sexualité une menace, une activité honteuse et dangereuse contre laquelle il fallait se protéger ", cette liberté nouvelle ne pouvait perdurer. La jurisprudence s'ingénia donc à construire des raisonnements juridiques dans le but de restreindre jusqu'à la faire disparaitre la notion d'espaces privés - censés être des repaires du vice -,
" Quelques jeunes hommes, après un dîner, s'étaient enfermés en compagnie de plusieurs femmes au rez-de-chaussée d'un hôtel afin de se livrer à des ʺactes de libertinageʺ. Mais certaines personnes, en s'approchant, soit du trou de la serrure, soit des interstices des jalousies baissées, ont pu apercevoir la scène. [...] Ainsi, être vu par le trou de la serrure ou à travers les interstices laissés par des jalousies baissées fut considéré comme un acte de négligence à l'égard de la pudeur publique et donc comme une exhibition volontaire. "
Il est intéressant de constater que la Justice, tout comme la " morale " sous-jacente à sa décision, ne se préoccupait pas de la curiosité malsaine des voyeurs qui, leur forfait commis, se déclaraient choqués (pudibonderie et pureté d'âme font rarement bon ménage). Pourtant, un vieil adage du droit voudrait que nul ne puisse se prévaloir de sa propre turpitude... Mais cette indulgence s'explique : ces voyeurs se révélaient finalement des auxiliaires zélés de l'Etat - ses yeux, en vérité - et servaient son souci de poursuivre
Une telle omniprésence de l'Etat dans les affaires privées devait aboutir à une réaction légitime en sens contraire. Dès la fin du XIXe siècle, les artistes devinrent les fers de lance de la théorie du " nu chaste " (c'est-à-dire non érotique et " racheté " par un but artistique), notamment à l'occasion de spectacles de théâtre ou de music-hall ; parallèlement, les étudiants aux Beaux-arts déclenchèrent avec l'enthousiasme de leur jeunesse la " guerre du nu ". Au XXe siècle enfin, les revendications des naturistes et, dans les années 1960-70, des adeptes du monokini finirent par infléchir la jurisprudence jusqu'à pratiquement faire tomber l'article 330 en désuétude.
Le nouveau Code pénal introduisit alors la notion d' exhibition sexuelle qui offre à Marcella Iacub l'occasion d'une analyse des dérives contemporaines qu'elle entrevoit. Selon elle, la séparation spatiale (espace public/espace privé) semble avoir disparu au profit d'une nouvelle notion, la " stricte logique du sexe " :
" Désormais, le scandale de la sexualité ne sera plus dans l'espace, mais dans l'esprit de ceux qui ne savent pas jouir dans la loi. [...] Ainsi, on ne punira plus les gens comme cette grand-mère surprise par son petit-fils parce qu'elle avait oublié de laisser la clé dans la serrure. En revanche, l'institutrice qui a posé la main sur la jambe d'une jeune élève pourra être accusée d'avoir pratiqué sur elle un attouchement ʺsexuelʺ. "
S'intéressant en particulier aux exhibitionnistes, l'auteur compare la relative mansuétude
L'approche de l'auteur est sans conteste militante, ce qui ne retire rien à l'intérêt de son étude et permet d'alimenter le débat sur un sujet qui, pour délicat qu'il soit, n'en concerne pas moins les libertés individuelles. Cela dit, il faut en convenir, le lecteur qui ne serait pas familier du style et des subtilités des raisonnements juridiques peinera peut-être au fil des pages. Pour être vraiment apprécié du grand public, le livre aurait sans doute mérité la fluidité d'écriture que l'on retrouve, par exemple, dans l'ouvrage d'un autre juriste, Le Livre noir de la censure (voir ci-dessous l'article du 2 avril 2008, Censure, les nouveaux visages d'Anastasie ).
Illustrations : Remy Cogghe, Madame reçoit, 1908 - Alice au pays des merveilles.
À propos de T.Savatier
Ecrivain, historien, passionné d'art et de littérature, mais aussi consultant en intelligence économique et en management interculturel... Curieux mélange de genres qui, cependant, communiquent par de multiples passerelles. J'ai emprunté aux mémoires de Gaston Ferdière le titre de ce blog parce que les artistes, c'est bien connu, sont presque toujours de mauvaises fréquentations... Livres publiés : Théophile Gautier, Lettres à la Présidente et poésies érotiques, Honoré Campion, 2002 Une femme trop gaie, biographie d'un amour de Baudelaire, CNRS Editions, 2003 L'Origine du monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, 2006 Courbet e l'origine del mondo. Storia di un quadro scandaloso, Medusa edizioni, 2008