Dans le cadre de notre série d’entretiens avec des éditeurs, et plus précisément au cours du festival Livre Paris, nous avons posé quelques questions à Lucie Levron, éditrice principale de 404 éditions.
Nouvelle née de l’édition française, 404 édition est LA maison d’édition entièrement dédiée à la culture “geek” dans son sens le plus large. Comment lier la culture de l’écran à celle du papier ? Comment amener les enfants du jeux vidéo à la lecture ? Guides pratiques, fanfictions et témoignages de stars du web : Lucie Levron, éditrice de la maison, a tout prévu. Rencontre avec cette jeune aventurière du réseau, seule aux commandes éditoriales du vaisseau 404 suite à la tragique disparition de son binôme, Lola Salines, qui a eu envie d’aller danser, un 13 novembre, au Bataclan.
On peut lire sur votre site : “1 c’est le nombre de jours qu’il nous a fallu pour décider de lancer 404.” Pouvez-vous nous raconter l’histoire de la création de la maison ?
404 éditions fait partie d’Edi8, qui regroupait initialement 8 maisons d’édition, et qui fait lui-même partie du groupe Editis. Dans cette grande famille on trouve notamment Gründ jeunesse et Dragon d’or qui publiaient déjà des ouvrages proches de la thématique geek. Chez Dragon d’or, nous voyions passer plusieurs textes intéressants mais qui ne trouvaient pas leur place au sein du catalogue, justement parce qu’ils étaient jugés trop “geek”. Parallèlement à ce phénomène, nous avons constaté qu’il se passait quelque chose du côté de cette culture, de l’ordre de la renaissance. De mon point de vue, la mentalité était en train de changer vis à vis de cette communauté, très longtemps décriée par le grand public. Il y a encore quelques années, le geek était le garçon boutonneux à lunettes enfermé chez lui pour jouer à des jeux vieillots. Aujourd’hui, nous semblait qu’une véritable culture était en train de naître et c’est pour cela que nous avons voulu réagir. Avec Lola Salines, ma collègue chez Gründ, nous avions l’impression qu’il fallait répondre à cette tendance et proposer autre chose à ces amateurs de jeux vidéos et de séries télévisées, en demande constante de contenu complémentaire à leur expérience en ligne. Sur Youtube par exemple, les vidéos de tutoriels fleurissent au quotidien et la demande est véritablement palpable sur ce type de réseaux. C’est à ce moment là que nous avons décidé de nous lancer, toutes les deux.
Nous avons finalement réalisé un état des lieux de tout ce que la notion de geek sous-entend aujourd’hui et nous avons proposé notre projet au groupe Editis. Très tolérant, notre PDG considère que toute initiative est bonne à prendre et nous a véritablement soutenu dans notre démarche. L’idée était que Lola assurerait le rôle d’éditrice principale, avec moi pour assistante, et que les autres services comme la presse ou le marketing seraient partagés avec le groupe. Le destin en a malheureusement décidé autrement et je suis finalement aujourd’hui la seule éditrice de la maison. Je n’ai jamais pensé laisser tomber, car même si nous avons perdu notre capitaine, nous avons souhaité, peut-être aussi en hommage, poursuivre l’aventure. L’avantage de faire partie d’un groupe est que nous avons été très soutenus par le reste de l’équipe. Le lancement de la maison a donc été célébré dans les règles le 14 janvier, comme prévu.
Pouvez-vous nous parler rapidement de votre parcours ?
J’ai un parcours très classique pour une éditrice ! Après une licence de lettres modernes, j’ai réalisé un master en édition à Angers, avant de travailler en tant qu’assistante d’édition chez Hachette pratique. J’ai ensuite atterri chez Gründ en 2013 en tant qu’assistante d’édition, pour me lancer deux ans plus tard dans le projet 404.
On trouve également sur votre site : “32 c’est le nombre de noms qu’on a imaginé pour le label.” Pourquoi 404 est-il celui qui s’est imposé ?
Dans le but de trouver un nom à ce nouveau label, nous avons installé un grand tableau au milieu de l’étage, afin qu’un maximum de personne passe devant. La consigne était que chacun y inscrive ses idées. Cela a duré environ 3 semaines et je dois dire que le tableau était bien rempli ! Chaque jour, je rayais les noms qui ne m’évoquaient rien, afin d’établir une sélection. 404 a fini par s’imposer pour plusieurs raisons. La première est simple : il parle à tout le monde ! L’erreur 404, la plupart des internautes l’ont déjà rencontrée, et cela souligne la dimension grand public que nous cherchons à donner à nos ouvrages. De plus, 404 fait écho à une erreur souvent mise en scène de façon amusante par les sites internet ; c’est donc une erreur rigolote, une autre dimension importante de notre maison. Enfin, le fait qu’il s’agisse d’un chiffre, permet à celui qui ne connaît pas du tout d’identifier immédiatement la dimension numérique du projet. Bref, 404 est le nom qu’il nous fallait !
Qu’est-ce qu’un geek aujourd’hui ?
Les frontières du monde geek sont quelque peu compliquées à délimiter, il s’agit d’un terme très global. Pour le décrire par la négative, je dirais que n’est pas geek tout ce qui est terre-à-terre, l’anti-rêve, le très concret en somme. Autrement, le geek n’a pas de limite de support, l’objet de son attention peut être un film, une série, un jeu et même un livre !
Parler de culture geek est un phénomène très récent comme j’ai pu l’expliquer plus haut. Depuis quelques années, la plupart des gens se sont rendu compte que tout le monde avait un côté geek, à partir du moment où l’on aime un jeu, un film ou une série, ce qui, je le rappelle, était souvent réservé aux garçons auparavant. Aujourd’hui, fille ou garçon, tout le monde peut être geek, sans avoir besoin de s’en cacher.
A qui s’adresse 404 ?
Nous n’avons pas véritablement de cible définie. Nous nous adressons autant à des joueurs ayant la volonté de prolonger leur expérience de jeu qu’à des amateurs de littérature sur les thématiques que nous proposons. Nous nous adressons également aux jeunes, que nous cherchons à tourner vers le livre, en leur proposant du contenu qu’ils ne côtoient jusqu’à présent que sur écran. J’ai vraiment imaginé 404 comme étant un pont entre l’écran et le livre qui emmènerait vers la lecture des personnes qui n’y vont pas d’eux mêmes en utilisant leur passion pour la culture geek.
Les fanfictions, ces romans inspirés des univers de jeux vidéos, remplissent ce rôle à merveille. En dehors de ces ouvrages directement liés à un jeu en particulier, nous voulons également proposer du contenu aux amateurs d’écran qui ne sont pas forcément des gamers. Nous publierons très bientôt à cet effet le témoignage de Kayane, une gameuse professionnelle. Puisqu’il s’agit d’une autobiographie, elle peut être entendue comme l’histoire d’une fille au parcours atypique, qui a réalisé sa passion à 9 ans dans un monde de machos. Ces textes sont destinés à tout le monde, sans restriction aucune. Nous veillons à développer un aspect fédérateur grâce à des figures comme Grumpy Cat ou Bob l’Eponge, afin de montrer que 404 n’est pas une maison réservée aux super geeks : nous cherchons à réveiller le côté geek qui sommeille en chacun de vous!
Un autre aspect de notre cible et pas des moindres, c’est que nous nous adressons à une communauté plutôt qu’une personne type. Bien sûr, notre lecteur est plutôt jeune, mais tous nos ouvrages peuvent totalement être appréciés par des adultes…c’est du moins notre cas ! Il n’y a pas vraiment d’âge, comme il n’y en a pas pour aimer le Seigneur des anneaux.
Votre ouvrage Journal d’un noob a été particulièrement relayé par les médias. Pouvez-vous nous en parler ?
Journal d’un noob est une fanfiction qui se déroule dans l’univers du jeu vidéo Minecraft, c’est à dire un roman écrit par un fan du jeu et qui se déroule dans son univers. Ce modèle de récit est plutôt répandu chez les amateurs de jeux vidéos et il fonctionne très bien auprès des communautés de fans. Cependant, cet ouvrage peut à la fois être lu par un fan qui souhaite prolonger l’expérience de jeu que par un lecteur avide d’aventures amusantes !
L’histoire est celle d’un petit villageois du jeu vidéo, âgé de 12 ans. Le lecteur le suit dans ses péripéties relatives à son souhait de devenir un vrai guerrier. Beaucoup d’aventures l’attendent tout au long du récit, dont de nombreux mystères à élucider. Cet ouvrage est la parfaite illustration de notre politique: amener l’enfant de l’écran à la lecture. Et pour tous ceux qui sont déjà conquis par les aventures de Minus le noob (ou guerrier?) il est prévu de le retrouver dans encore deux autres volumes !
Notre choix s’est porté sur l’univers de Minecraft pour plusieurs raisons: il s’agit non seulement d’une référence parmi les jeux vidéos pour enfant et surtout car l’exploitation de son univers est presque infinie. Dans le jeu et donc dans la littérature qui en découle, les possibilités sont absolument illimitées. C’est en partie pour cela, selon moi, que le contenu autour du jeu paraît en flux presque incessant sur internet : nous n’aurons jamais fait le tour des possibles !
En dehors de fanfictions, que propose votre catalogue ?
Figurent à l’heure actuelle dans notre catalogue plusieurs autres types de publications. Le premier est le guide de jeux vidéo, destiné aux joueurs qui souhaitent progresser dans leur jeu. Pour les réaliser, je me suis également tournée vers les réseaux sociaux afin de trouver des auteurs. C’est d’ailleurs Youtube qui m’a permis de rencontrer Arsenik, l’auteur du guide de jeu de Clash of clans. A la tête d’une communauté de plus de 150 000 abonnés, il a été immédiatement partant pour se lancer dans l’aventure du papier.
Nous allons également publier des tutoriels qui proposent des formations illustrées adaptées aux enfants sur des thèmes comme le code informatique avec le langage Scratch. Puisque ce dernier fait son entrée au programme scolaire, ce type de support nous a semblé intéressant. Grâce à cet ouvrage, les enfants pourront créer leur propre jeu vidéo très facilement !
Nous sommes également fiers de pouvoir très bientôt présenter un tout nouveau concept né dans nos bureaux : l’escape book ! Inspiré des escape games, ces jeux qui consistent à s’enfermer avec ses amis dans une pièce de laquelle il faut s’échapper en déjouant des énigmes, ces ouvrages sont un peu les “romans dont vous êtes le héros”, façon 2.0. Nous avons hâte de les présenter au public mais pour le moment, nous ne souhaitons pas en dire plus sur le sujet pour conserver le mystère.
Enfin, nous avons l’intention de proposer une gamme de papeterie : agendas, calendriers, un peu de tout ce qui accompagne la lecture et ce dont les grands lecteurs raffolent souvent.
Si nous n’avons rien de concret pour le moment, je peux néanmoins affirmer que nous ne nous cantonnerons pas à ces 5 univers et élargirons notre catalogue dans les années à venir : nous sommes très ouverts à ce qui se propose à nous!
Pouvez-vous nous parler un peu de votre quotidien chez 404 éditions, qui doit différer d’un travail d’éditeur classique ?
Effectivement, la démarche est plutôt différente ! Pour le moment, c’est nous qui sommes allés chercher les auteurs pour leur demander de rejoindre notre projet. Bien sûr, nous recevons aussi beaucoup de projets que nous étudions toujours avec attention. Pour le moment, nous privilégions en tous cas la création par rapport au rachat d’oeuvres existantes, mais rien n’est fermé.
La notion de geek fait immédiatement penser au monde du numérique et donc aux ebook. Quelle est votre politique à ce sujet ?
Nous avons choisi de publier systématiquement nos ouvrages dans les deux formats et ce, depuis le début. Nous transcrivons de façon homothétique les ouvrages papier en numérique. En revanche, le support papier reste notre objectif principal, comme je l’expliquais plus haut. En tant que pont entre l’écran et le livre, il est normal que nous privilégions le format papier, qui coupe véritablement avec le monde de l’écran. Nous cherchons d’ailleurs à faire de nos livres de beaux objets, que les gens auraient envie de conserver, de collectionner. De la même manière que des fans ont pu acheter des exemplaires d’Harry Potter hors de prix, nous avons envie de faire de nos objets des sortes de goodies, jolis et qui font envie.
Pour ma part je ne lis pas sur tablette, mais je compte m’y essayer pendant mes vacances !
Nous avons pour habitude de terminer nos interview par la question “que lisez-vous en ce moment ?” mais j’y rajouterais cette fois “et à quoi jouez-vous ?”
Concernant les jeux vidéos, je joue beaucoup (trop ?) à Hearthstone qui occupe la plupart de mes soirées ! Mais je suis aussi restée fidèle aux grands classiques, je me sers encore souvent de ma Super Nintendo pour jouer à Zelda et Street Fighter. J’ai aussi eu ma période Wii !