Quatre voix seulement pour En attendant Bojangles, et six pour le premier roman d'Emmanuelle Pirotte, Today we live. Le nom de famille est connu, le prénom l'était moins mais le Prix Edmée de La Rochefoucauld le met en lumière. C'est bien, parce que le livre le mérite. C'est bien aussi, parce que ça change un peu.
Le curé a cru sauver Renée, dont la courte vie a déjà couru
bien des dangers, en la confiant à deux Américains, qui l’ont emmenée dans leur
jeep. Sinon que ces présumés sauveurs, infiltrés entre des lignes qui bougent
encore dans les Ardennes belges en décembre 1944, n’ont d’américain que
l’apparence. Et que le curé vient d’offrir à deux authentiques SS l’occasion
d’exécuter une petite Juive de six ou sept ans. Sinon, encore, que l’un des
deux, saisi d’un accès de pitié qu’il serait bien en peine d’expliquer, tue son
compagnon et laisse en vie leur victime désignée.
Mathias s’est d’un coup fermé toutes les issues. Aux yeux
des siens, les Allemands, il est coupable de meurtre en temps de guerre et
d’avoir renié une doctrine inébranlable. Aux yeux des Américains dont l’armée
se trouve dans la région, il est coupable d’espionnage, de port d’uniforme
interdit, et on pourrait probablement ajouter quelques crimes à ses crimes.
Restent les Belges, les civils, parmi lesquels il se rencontre autant de
courageux que de lâches, tous ébranlés, quoi qu’il en soit, par le retour
d’Allemands plus décidés que jamais à vendre chèrement leurs derniers espoirs
de victoire, ou plutôt de retraite retardée…
Au point de départ, Today
we live était un scénario de long métrage, écrit par Emmanuelle Pirotte et
Sylvestre Sbille. Le sujet se prête en effet à un tournage : le triple jeu
de Mathias et ce qu’autour de lui on en devine, ou non, donne au héros une
épaisseur intéressante. Et le décor naturel est aussi fascinant que le moment
historique. Que le film se fasse un jour ou non, Emmanuelle Pirotte a bien fait
de transformer le scénario en premier roman. Elle y fait preuve d’un véritable
talent pour insuffler de la vie à travers les mots, pour porter à incandescence
des situations tragiques et des ambiguïtés mortelles.
Vérité et mensonge se côtoient de si près que les deux se confondent
parfois. Il ne reste, pour comprendre, ou croire comprendre, que les actes.