On possède d’innombrables portraits d’un enfant avec un chien : souvent sans doute pour lui faire plaisir en immortalisant à son côté son compagnon favori ; mais aussi, parce que les valeurs canines : attachement au foyer, obéissance, marche à quatre pattes , besoin de jouer, de courir et de japper – rappellent celles de l’enfance.
Le Chien est en somme l’Enfant de l’Enfant, mais un enfant permanent, voué à ne jamais grandir.
L’ajout d’un troisième larron, le perroquet va compliquer cet équilibre.
Le Cardinal Leopoldo de Medicis (à 5 ans)
Justus Sustermans, 1622
Dans ce portrait très officiel, le chien et le perroquet sont des emblèmes vivants, qui redondent et édulcorent les deux emblèmes de pouvoir bien réels que sont le bâton de commandement et le plumet.
Portrait d’un garçon avec un club de kolf et une balle
1628, Jan Anthonisz van Ravesteyn, Collection privée
Ce portait amusant joue sur les motifs en noir et blanc qui unissent le damier du manche, les pointillés de la balle, le pelage et le collier du dalmatien, avec la robe et le bracelet du garçon. On devine sur la chaise deux baguettes de tambour, et derrière la crinière d’un cheval de bois.
En mettant strictement en parallèle, d’un côté l’enfant, de l’autre les deux animaux plantés aux deux extrémités d’une même verticale, la composition nous livre une vérité d’évidence :
le perroquet est du côté du manche, le chien est du côté de la balle.
Si le chien représente l’enfance brute, terre à terre, toute en pattes et en énergie, le perroquet sans membres visibles – grosse tête et corps atrophié surplombant les opérations – figure l’enfant bien élevé, qui a appris à parler, sait se tenir et mène son jeu :
le couple du perroquet et du chien fonctionne comme la tête et les jambes.
Au XVIIème siècle en Hollande, le portrait de jeunes enfants va devenir une production de masse, dans lesquels les chiens et les perroquets figurent en option. Il ne faut donc pas s’attendre à des symboliques bouleversantes. La robe pouvant être porté par les garçons jusqu’à 7 ans, il est souvent difficile de distinguer les deux sexes.
Petit garçon, chien et perroquet
1627, Anonyme, Collection privée
L’archiduc Karl Joseph âgé de deux ans
Frans Luycx, 1651, Collection privée
Garçon de trois ans avec un chapeau
1644, Ecole flamande, Glasgow Museums, Glasgow
Fillette en robe rouge
Vers 1670, Ecole flamande, Dordrechts museum, Dordrecht
Fillette (?) assise avec des fruits
Fillette assise avec un bouquet
Aleijda Wolfsen, fin XVIIème, Collection privée
On voit que si le chien se contente de tenir compagnie, le perroquet exige des fruits hors de prix – cerises- raisins, pêches – qui rehaussent d’autant son côté précieux.
Portrait of Sixtus van der Laen par sa mère
1622, Leeuwarden, Fries Museum
La caractère particulièrement attachant de ce portait est qu’il a été peint par Catherine de Liauckema, mère de neuf enfants et épouse du riche Dierick van der Laen, bourgmestre de Malines. Le gâteau est probablement destiné au perroquet. L’enfant porte au cou, en dessous de la croix, une tétine ornée d’une pierre, qui était sensée protéger des maladies infantiles.
Plus on avance dans le temps, plus les portraits d’enfant prennent de la vie : adieu les robes empesées héritières des portraits de cour, et bienvenue à l’extérieur : parc à la française ou jardin à l’anglaise.
Mademoiselle de Blois (Marie-Anne de Bourbon), fille de Louis XIV and Louise de La Vallière,
Pierre Mignard, 1669, Musee du Louvre, Paris
Mignard fait ici exception à la règle du perroquet surplombant : il est vrai qu’au milieu du Parc de Versailles, l’oiseau de luxe devient un domestique parmi les autres, et la princesse habillée en déesse grecque ne se préoccupe pas de le nourrir.
Mademoiselle de Tours (Anne de Bourbon), fille illégitime de Louis XIV et Madame de Montespan
Mignard, 1674, Musée National du Chateau, Versailles, France
Ce tableau ne peut être compris qu’en sachant qu’il s’agit d’un portrait posthume. D’où les symboles, inhabituels dans un portrait d’enfant, du temps qui s’enfuit et de la fragilité de la vie : la bulle, la paille, la coquille (complétée par la perle sur l’épaule), la montre ronde sur la table.
Au fond, le soleil se couche sur le parc automnal, entre deux hautes colonnes qui déplorent cette disparition précoce. Et les deux coussins superposés disent combien la disparue était petite.
Cette charge tragique modifie le message des deux animaux :
- le chien, qui semble aboyer à la bulle, se précipite en fait vers sa maîtresse avec la prescience des bêtes, comme pour la sauver de son destin ;
- quant au perroquet, il retrouve ici son symbolisme marial tournant son cou vers la petite fille en hommage à sa Pureté (voir Le symbolisme du perroquet )
Pour plus de détails : http://enviedhistoire.canalblog.com/archives/2007/02/18/4047328.html
Enfant avec perroquets, épagneuls, chat et singe
Artiste anglo-flamand inconnu, fin XVIIème, Collection privée
Cet étrange tableau a pour intérêt de mettre en lumière la compétition entre favoris que les autres peintres éludent : cinq épagneuls occupent le sol, trois se disputant un cadavre ; quatre perroquets occupent le ciel, le cinquième s’est risqué sur le sol pour affronter directement un des chiens.
On peut se demander si le tableau n’a pas pour moralité de montrer ce qui se passe lorsqu’un « père de famille » manque à son devoir de maintenir la paix entre ses « enfants » : des animaux pacifiques passent de la concurrence au conflit, alors que le chat et le singe, animaux réputés cruels, se tiennent prudemment à carreau.
Fillette avec perroquet et chien
Anonyme, début XVIIIème, collection particulère
Dans un extérieur mouvementé (nuages, vent), cette jeune blonde donne la main droite à son chien, tout en élevant son perroquet de la main gauche à bonne distance du museau : l’enfant retrouve ici son rôle traditionnel de maintenir équilibre et justice entre ses deux chéris, celui du ciel et celui de la terre. A noter que le perroquet, toujours glouton, tient dans sa griffe gauche retournée vers le haut une gourmandise indéchiffrable.
Frances Graham avec un perroquet
Tilly Kettle, 1777 , Brighton and Hove Museums and Art Galleries
Portrait du jeune fils de Shuja-ud-Daula Nawab, vizir d’Oudh
Tilly Kettle, Fin XVIIIème
Au XVIIIème siècle, le portrait d’enfant s’est définitivement déplacé à l’extérieur. Qu’il recherche le mouvement – comme avec cette fillette courant après son perroquet échappé, ou qu’il respecte une pose plus officielle – comme avec ce fils de prince, le portraitiste Tilly Kettle (qui fit une bonne partie de sa carrière aux Indes) utilise le chien et le perroquet en tant qu’accessoires désormais totalement banalisés.
Jeune fille avec un perroquet et un chien
John Singleton Copley, 1767, The Toledo Museum of Art, Ohio
Les trois plus jeunes filles du Roi Georges III
John Singleton Copley, 1785, Buckingham Palace
A gauche un portait réalisé en Amérique, où une certaine fantaisie est permise : la fillette veut transformer en funambule son perroquet, qui jette vers elle un regard inquiet tout en gardant une patte sur le fauteuil : le tout sous le regard intéressé de son concurrent et néanmoins ami. Dans cette composition théâtrale, la diagonale montante isole la tête de la réalisatrice (coté rideau rouge et colonne) du triangle où a lieu la représentation :
en bas le spectateur du tapis, en haut l’artiste du ciel.
Image en haute définition :
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:John_Singleton_Copley_-_Young_Lady_with_a_Bird_and_a_Dog_-_Google_Art_Project.jpg
A droite, un portrait officiel qui a nécessité des heures de pose éprouvantes, pour un accueil très mitigé : son effervescence fut critiquée comme incompatible avec la dignité royale, et on le jugea trop encombré. Il est vrai que sur fond de château de Windsor, nous assistons à une bacchanale endiablée au son du tambourin, où trois chiens surexcités miment délibérément les attitudes des trois princesses, sous la haute autorité d’un couple de perroquets perchés sur une treille : pour satisfaire son appétit pour une grappe, l’un s’est carrément mis la tête à l’envers : la vieille réputation de paillard et de pochard n’est pas loin !
Pour plus de détails : https://www.royalcollection.org.uk/collection/401405/the-three-youngest-daughters-of-george-iii
Au XIXème, la nécessité de renouveler la formule va conduire les peintres à des variations sophistiquées.
Portrait d’une fillette avec un perroquet et un chien
Cercle de William Owen, 1810, Collection privée
La fillette tire l’oreille de son chien en cachant dans son dos le biscuit qu’elle va lui donner. Mais à son insu, le perroquet profite de la porte ouverte et s’apprête à se servir tout seul.
Autre interprétation possible : la jeune fille a ouvert la cage pour donner un biscuit au perroquet, et caresse le petit chien pour rétablir l’équilibre.
Chien et perroquet gardant le Landau
Joseph Gyselinckx, 1870 , Collection particulière
Ce peintre de genre a peut être voulu inverser la perspective des tableau d’enfant hollandais : à la place d’un bébé géant dominant ses deux bestioles, il nous montre les deux familiers veillant sur le sommeil du dernier arrivé dans la famille.
L’homme du XVIIème siècle devait s’affirmer jeune comme maître et possesseur de la nature ; l’homme du XIXème siècle croit au progrès qui a civilisé les races inférieures, et peut dormir tranquillement.
Victoria, princesse royale, avec Eos
Edwin Henry Landseer, 1841, Collections royales d’Angleterre
Le tableau belge est peut être à rapprocher de ce prototype offert en cadeau d’anniversaire au prince Albert, mais qui fut ensuite largement diffusé. Il représente la princesse Victoria (future reine d’Allemagne) endormie paisiblement entre une tourterelle et Eos, la chienne greyhound favorite de son père.
Le lévrier athlétique et la tourterelle à la douceur féminine, mais en position dominante, fonctionnent implicitement comme substituts du couple royal auprès de son royal rejeton.
Le nouveau camarade de jeu
Julius Kronberg , 1873, Collection particulière
Nous sommes au jardin à la fin du printemps : les pivoines s’épanouissent, il fait suffisamment bon pour sortir un oranger et installer le cacatoès à l’extérieur.
La fillette sérieuse s’adapte à chaque partenaire : au chien elle tient une balle, au perroquet un discours. L’effet comique vient de la mine interloquée de l’un et de l‘air inquiet de l’autre : la fillette est visiblement la seule à croire au pouvoir universel du jeu.