Partager la publication "[Critique] DAREDEVIL – Saison 2"
Titre original : Daredevil
Note:
Origine : États-Unis
Créateur : Drew Goddard
Réalisateurs : Phil Abraham, Marc Jobst, Peter Hoar, Floria Sigismondi, Andy Goddard, Ken Girotti, Michael Uppendahl, Stephen Surjik, Euros Lyn.
Distribution : Charlie Cox, Deborah Ann Woll, Elden Henson, John Bernthal, Élodie Yung, Rosario Dawson, Stephen Rider, Scott Glenn, Michelle Hurd, Vincent D’Onofrio…
Genre : Thriller/Action/Drame/Fantastique/Adaptation
Diffusion en France : Netflix
Nombre d’épisodes : 13
Le Pitch :
Débarrassé de Wilson Fisk, Matt Murdock continue de défendre les opprimés, avec son associé, Foggy Nelson, lui aussi avocat, et leur assistante, Karen Page. La nuit, quand il devient Daredevil, Murdock continue d’appliquer ses propres règles, sans se départir d’une morale à laquelle il s’accroche, quelle que soit l’ampleur de la menace qui se dresse face à lui. Pourtant, quand un homme, que l’opinion publique ne tarde pas à appeler le Punisher, fait surface, tuant les uns après les autres les gangsters, déclenchant à chacune de ses sorties un bain de sang, Daredevil voit ses certitudes trembler. Conscient qu’un tel individu, quels que soient ses motifs, ne doit pas agir en toute impunité, le Diable de Hell’s Kitchen se lance à sa poursuite, ignorant que pendant ce temps, un ennemi aussi redoutable qu’organisé, se prépare dans l’ombre à semer le chaos dans la cité…
La Critique :
Beaucoup de doutes et de craintes ont accompagné la mise en chantier par Netflix d’une nouvelle adaptation de Daredevil, le comic book culte Marvel de Stan Lee et Bill Everett. Une série qui faisait en effet suite au sympathique mais néanmoins assez navrant navet avec Ben Affleck, inscrite dans un plan à grand échelle censé mettre en place au sein de l’univers partagé cinématographique Marvel, un univers à part entière dans lequel allaient évoluer en plus du Diable de Hell’s Kitchen, Jessica Jones, Luke Cage et Iron Fist. Succès public et critique, la première saison a ainsi au final remis les pendules à l’heure, reléguant définitivement le long-métrage de Mark Steven Johnson aux oubliettes et s’imposant avec une flamboyance inattendue, comme l’une des meilleures illustrations d’un comic book, à l’écran (petit et grand confondus). En cela, la saison 2 était attendue au tournant. Surtout compte tenu du départ du showrunner Steven D. DeKnight, au profit du duo formé par Marco Ramirez et Douglas Petrie, un transfuge de Buffy. Les deux hommes allaient-ils se montrer à la hauteur et inscrire leur travail dans la continuité de la remarquable première salve d’épisodes pilotée par leur prédécesseur ? Là était tout l’enjeu : renouveler le contrat d’exigence du show, mais aussi lui permettre de progresser sans se reposer sur ses lauriers.
D’où l’introduction de deux personnages phares de l’univers du justicier aveugle, à savoir Elektra, déjà présente dans le film, sous les traits de Jennifer Garner (qui a eu droit elle aussi à son propre nanar) et le Punisher. Et disons-le tout net, c’est surtout ce dernier qui a permis de faire de cette deuxième saison un événement d’envergure à part entière, dont l’engouement put se mesurer sans avoir à rougir à celui provoqué par Captain America : Civil War et Batman v Superman.
Inviter le Punisher à la table de Daredevil permettait en outre d’orchestrer un affrontement de « super-gentils » parfaitement dans le ton d’une année 2016 marquée par les clashs des héros en collants. Mine de rien, sans crier gare, depuis son petit écran, avec ses moyens moindres, Daredevil est donc venu chasser sur les terres des poids lourds Marvel et DC, pour au final s’imposer une nouvelle fois comme l’une des références incontournables du genre. Pour le Punisher donc, mais aussi pour Elektra, pour la façon dont Daredevil évolue et pour beaucoup d’autres raisons dont nous allons parler ici, sans déflorer de quelque façon que ce soit l’intrigue et ses multiples surprises savoureuses.
Avec Daredevil, puis Jessica Jones, contrairement à ABC et ses Agents du S.H.I.E.L.D. par exemple, Netflix a tenu à cibler les adultes, en exploitant des héros borderline prompts à des déchaînements de violence graphique. L’interprétation que le network livre alors de l’univers Marvel n’a pas grand chose à voir avec les films, pourtant inscrits dans la même dynamique. Figure majeure des comics, Daredevil a justement toujours été le garant d’une tonalité très sombre. Tout comme son environnement, le quartier de Hell’s Kitchen à New York. Un monde à part, oublié et livré à lui-même, dans lequel débute bien sûr cette saison 2. Un nouveau tour de piste qui ne tarde pas à faire parler la brutalité âpre qui distingue tant la série, grâce à une entrée en matière percutante, permettant au spectateur de se mettre illico dans le bain. Que les aficionados de bourre-pifs soient rassurés. Pour ce qui est de l’action, ce nouvel acte envoie du lourd, comme en témoigne l’un des morceaux de bravoure les plus hallucinants du lot. Une baston en plan-séquence, de plusieurs minutes, dans l’esprit de celle de la saison 1 (dans le couloir, quand Daredevil dézingue plusieurs adversaires dans un style proche de celui de Old Boy), où le héros se frotte à une armée de bad buys dans les parties communes d’un immeuble. Une scène symptomatique de la virtuosité d’un show extrêmement graphique et percutant, qui renvoie d’ailleurs une bonne partie des échauffourées numériques des productions Marvel au cinéma à la cour de récréation, à commencer par celles de Deadpool, qui font vraiment pale figure face à Daredevil. Dans le cas présent, pas d’effets-spéciaux trop voyants, ni d’images de synthèse. Les coups portent, le sang coule par hectolitres et les gentils comme les méchants morflent, la tronche recouverte de bleus en permanence. Ainsi, voir un tel spectacle à la télévision impressionne vraiment, même si des séries haut de gamme nous ont désormais habitué à une telle qualité. Et ce du premier au dernier épisode de cette incroyable saison.
Pour autant, il était légitime de se demander de quelle façon le show allait rebondir après la mise à l’ombre de Wilson Fisk, le Caïd, soit le grand méchant emblématique du comic book. La réponse étant bien sûr : grâce au Punisher et à Elektra. Frank Castle qui revient sur le devant de la scène, avec une quatrième incarnation, sous les traits burinés de Jon Bernthal, le Shane de The Walking Dead. Pas aussi massif que ses prédécesseurs, ce dernier table sur l’aspect tactique de la démarche punitive du personnage. Remarquablement introduit dans le récit, il ne tarde pas à faire son entrée, et s’impose comme le négatif de Daredevil, en cela que ses méthodes s’avèrent beaucoup plus radicales quand bien même il poursuit un but similaire. Charismatique, Bernthal fait le job avec une assurance qui permet au Punisher de s’intégrer sans forcer dans la dynamique de la série, devenant d’emblée l’un des piliers de l’histoire, qui ne cesse de revenir sur lui sans donc se contenter de lui faire servir la soupe à Matt Murdock. Les présentations s’avèrent donc hyper brutales. Pas de déception de ce côté-là. D’autant que très vite, le scénario explore la psyché de Frank Castle, après néanmoins avoir fait parler la poudre. Pour Elektra, c’est aussi carton plein. Décrite comme une séductrice un peu sociopathe sur les bords, elle est évidemment à des milliers de bornes de l’interprétation de Jennifer Garner. À tous les niveaux d’ailleurs. Livrant une performance sans faille, la française Élodie Yung semblait née pour le rôle. Athlétique, belle, sa présence électrisante (et oui), sa faculté à focaliser l’attention, entre séduction et menace permanente, en font rapidement un des personnages clés de l’intrigue. Un personnage qui permet d’ailleurs d’emmener Matt Murdock à réfléchir sur ses propres motivations et sur le sens de sa démarche. Comme le Punisher, qui renvoie au héros une image déformante de sa propre condition.
Avec ces nouveaux arrivants, la série parvient à conserver une véritable cohérence, sans jamais s’éparpiller. Modèle du genre, le scénario ne laisse personne sur le carreau et se paye d’ailleurs aussi le luxe de conférer encore plus d’épaisseur aux deux side-kicks de Daredevil que sont Foggy et Karen. Le premier n’est plus seulement le bon pote un peu rigolo. Ici, il prend une authentique consistance et contribue largement à la progression du récit et à l’élaboration d’une ambiance à couper au couteau. Même constant pour la Karen Page de Deborah Ann Woll, elle aussi en pleine émancipation, bien loin du simple faire-valoir féminin comme on en voit trop dans ce genre de spectacles.
La saison 2 de Daredevil confirme le farouche désir de Netflix d’appréhender le genre d’une façon radicalement opposée à celle des films Marvel de la maison mère. Certes spectaculaire, la série conserve une patine très réaliste, raccord avec l’apprêté de son ambiance crépusculaire. Plus proche du film noir que du blockbuster XXL, Daredevil assombrit encore un peu plus son propos, grâce à l’arrivée de nouveaux personnages à la fois complexes, ambigus et il faut bien le dire complètement psychotiques. La brutalité est parfois telle, qu’on se demande comment la chose a pu passer. Sans se montrer complaisante face à la violence, cette saison 2 ne détourne pas le regard et tient à placer ses héros dans un environnement difficile, régulièrement abreuvé par le sang des victimes de méchants eux aussi très radicaux. À ne pas mettre entre toutes les mains, cette série ne fait pas les choses à moitié et tient à rester fidèle aux idéaux des meilleures vignettes de la bande-dessinée. On pense d’ailleurs à Frank Miller devant certaines séquences très intenses, marquantes, habitées par une dramaturgie palpable, qui donnent le ton d’un ensemble parfaitement cohérent et respectueux des enjeux, de ses personnages et de son public.
Plus généreuse que jamais, Daredevil ne sacrifie toujours pas le fond au profit de la forme. Si le grand bad buy n’est plus à l’ordre du jour pour le moment, le show sait précisément quelle direction prendre pour que son absence ne nuise pas à l’efficacité. Le rythme est endiablé, la structure scénaristique limpide et les dialogues souvent chargés d’une émotion qui nourrie la psyché des héros. Les acteurs étant tous excellents, tout s’imbrique à la perfection. Il convient d’ailleurs de saluer une nouvelle fois le décidément impressionnant Charlie Cox, dont la faculté à mâtiner la puissance de Daredevil avec une certaine vulnérabilité aussi indispensable que salvatrice, fait des merveilles. Un acteur qui, à l’instar de ses camarades, traduit l’ambivalence de son personnage, qui devient dès lors bien plus qu’un mec déguisé capable de tabasser 15 types tout seul en 5 minutes chrono.
Dans le genre -le film/série de super-héros- Daredevil n’a pas vraiment d’équivalent, si ce n’est Jessica Jones. Les deux shows se répondent, conformément au cahier des charges du plan d’action global de Netflix, mais pour ce qui est du reste, Daredevil occupe une place à part. Forcément plus proche des Batman de Christopher Nolan que des Avengers de Joss Whedon, il sait néanmoins se détacher de ses références, avouées ou non, pour tracer sa route, arrivant à instaurer un climat à part, terriblement immersif et désenchanté.
Visuellement jubilatoire, tendue comme jamais, cette saison 2 sait aussi prendre à revers, grâce à des choix et autres retournements de situation aussi ambitieux que positivement déconcertants. Tout en conservant la moelle substantielle inhérente au boulot effectué par Steven D. DeKnight sur la première saison, les deux nouveaux showrunners ont apporté leur touche, sans commettre de faux-pas majeurs. On pourrait bien évidemment reprocher quelques petites choses ici ou là, comme ces quelques facilités scénaristiques mineures. Mais comme elles permettent dans un sens de lier une partie des éléments entre eux pour faire avancer le récit, elles s’avèrent au final plutôt anecdotiques. D’autant que c’est aussi ces raccourcis qui offrent au show une partie de sa personnalité. Des imperfections qui donnent du caractère à la série, ainsi que parfois, une certaine légèreté. Une légèreté salvatrice compte tenu de l’aspect crépusculaire au possible de cette magistrale suite de 13 épisodes, où le sang se mêle aux larmes, au sein d’une symphonie macabre parfaitement dans le ton du comic Marvel.
Réussite majeure, la saison 2 de Daredevil confirme qu’il s’agit non seulement de l’une des meilleures séries du moment, tous genres confondus, mais aussi sans aucun problème de l’une des meilleures adaptations d’un comic book vues à ce jour. Comment dans ces conditions ne pas trépigner à l’idée de la saison 3, mais aussi de tout ce qui s’annonce sur Netflix pour la suite cette exploration de la face cachée du catalogue Marvel ? Celle où tout peut arriver…
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Netflix