Une mathématique très personnelle - Des signes et des chiffres

Publié le 19 mars 2016 par Francisrichard @francisrichard

Quai d'Ouchy, le 18 mars 2016, 18 heures 25, 24 heures tout juste avant que ne commence l'an soixante-cinq de mon âge ...

Ma soixante-cinquième année de présence sur Terre s'achève. Une autre année commence demain. Il y aura eu des signes précurseurs le mois dernier. Il y a des chiffres indicateurs le mois présent, qui coïncident.

Des signes

4 février 2016

En début d'après-midi, à notre établissement du Flon, à Lausanne, après avoir nagé librement ma distance quotidienne dans ma piscine favorite, j'ai apporté les documents demandés par la réviseuse des comptes de notre filiale parisienne. Installés dans la cafétéria, avec le comptable, nous n'avons pas seulement parlé chiffres. Nous avons parlé des choses de la vie.

Remonté à pied du Flon à la Place Saint-François, je suis redescendu par le Petit-Chêne en direction de la gare. A la hauteur de l'Asia Wok, j'ai croisé la personne qui m'a involontairement mis à l'épreuve de quatorze. Elle était au téléphone et montait. Ses cheveux disparaissaient sous un bonnet de laine grise. Ses yeux verts pétillaient. Elle a feint de m'ignorer, ou ne m'a pas vu, insignifiant que je suis.

C'était un signe de vie. Bien que blessé à mort par une menace sans fard de sa part, le jour du printemps de l'an passé, je suis toujours vivant. Cette menace était dérisoire et aurait été, de toute façon, impossible à mettre à exécution, faute d'éléments réellement constitutifs de la faute que j'aurais commise à ses yeux. Mais c'était une menace, qui, en tant que telle, m'a touché à vif et m'a surpris.

C'était un signe de vie que de la croiser. Ça a ravivé cette blessure qu'elle m'a alors infligée, en prétendant que c'était pour se protéger, que ce n'était pas dirigé contre moi, qu'elle ne voulait simplement pas m'être liée. Car je m'étais rendu compte de deux choses ce jour-là: qu'elle n'était pas tout à fait la belle âme que je croyais et que cela ne suffirait pourtant pas à changer quoi que ce soit à ce que je ressentais.

18 février 2016

Avenue CF Ramuz à Pully. Je me rends à ma piscine favorite. La voiture à ma gauche s'arrête. Je m'engage dans le passage pour piétons. Je suis parvenu à un peu plus de la moitié de la voie quand, sur ma droite, un bus arrive à vive allure, un bus à rallonge. Très clairement le chauffeur ne regarde pas la route mais son tableau de bord.

Le chauffeur du bus, en provenance de la gare, lève les yeux au dernier moment. Je n'ai pas bougé, comme si je me rendais à l'évidence que c'est la fin et que je l'attendais. Le bus stoppe sa course à vingt centimètres de mon flanc droit, dans un crissement de pneus. Je décide alors seulement d'achever la traversée de l'avenue, sans invectiver le chauffeur.

C'était un signe de mort. Ma dernière pensée aurait été, si ma dernière heure était venue, pour Roland Barthes, et non pas pour le prénom associé à l'épreuve de quatorze. J'ai en effet aussitôt pensé à lui qui, le 25 février 1980, a été fauché par une camionnette, en se rendant au Collège de France, où il a commencé dix-huit mois plus tôt son cours sur La préparation du roman

C'était un signe de mort, laquelle n'a pas voulu de moi, du moins pas encore. Peut-être cet incident est-il faste, après tout, puisque je me suis rendu compte, qu'une nouvelle fois rescapé, je tiens tout de même un peu à la vie et qu'il me faudra encore un peu patienter avant qu'elle ne vienne me ravir à tous ceux que j'aime et qui ne m'aiment pas forcément en retour.

... 18 minutes plus tard, station, le temps d'une photo, devant le compte à rebours des JO de Rio, à côté du Château d'Ouchy

Des chiffres

19 mars 2016

65 ans. Aujourd'hui, à 18 heures 25 précises, j'aurai donc l'âge ordinaire de la retraite ici, c'est-à-dire en Suisse où je vis. Ce n'était pas gagné, mais j'y suis parvenu. Pourtant l'heure de ma retraite ne sonne pas. Sans doute ne suis-je pas assez défait pour battre en retraite... et ne fais-je pas les choses de manière ordinaire, encore moins extraordinaire... Chez les miens, la retraite n'est pas un but en soi. Nous sommes à rebours de la volonté générale.

Les hommes de ma famille qui m'ont précédé ne m'ont pas donné l'exemple d'un départ ordinaire. Mon grand-père maternel s'est résolu à prendre sa maigre retraite à 75 ans, mon père sa retraite plus conséquente à 71. S'il n'avait tenu qu'à lui, mon grand-père paternel, lui, ne l'aurait jamais prise. Il a fallu que la faucheuse, à la faveur d'une mauvaise grippe, l'envoie ad patres à 61 ans... le 15 mars 1939.

Mon grand-père maternel a connu une relativement longue retraite, de 12 ans. Mon père une retraite plus courte, de 6 ans. Si le sort qui m'est promis est mathématique et que, par rapport aux hommes de ma famille, l'âge de ma retraite obéit à une progression arithmétique et la durée d'icelle à une progression géométrique, alors je devrais prendre ma retraite à 67 ans, pour une durée de seulement 3 ans.

Quoi qu'il en soit, l'Horloger céleste a peut-être d'autres plans sur ma comète. En attendant, je vis dans l'instant. Ce serait déjà bien beau que je passe l'hiver. Il ne me reste qu'un jour à peine pour franchir cette étape et pour apporter un démenti à tous ceux qui auront pensé à mon sujet que j'étais la parfaite illustration du pph (passera-pas-l'hiver). Demain, jusque-là tout va bien et le laisse supposer, j'aurai 66 printemps à mon compteur... 

1500. C'est le nombre de textes publiés sur ce blog depuis le 24 mai 2008 jusqu'à ce jour inclus. Comment ai-je pu en arriver là? Sans doute par la grâce d'une curiosité insatiable et irrépressible pour tout ce qui concerne l'action humaine. Cette curiosité est celle d'un honnête homme, au sens du XVIIe, d'un homme qui se veut honnête également, et qui prend son plaisir dans le texte à lire ou à écrire, lisant comme il respire et respirant mieux dès qu'il écrit.

A l'origine ce plaisir solitaire de graphomane répond au besoin de suppléer à une mémoire défaillante. Ce blog reste d'ailleurs avant tout une manière de blog-notes dans lequel sont consignées des impressions et des notes de lecture, des transcriptions de propos tels que je les ai perçus et toutes sortes d'idées, saisies sur le clavier avant qu'elles ne s'échappent et ne se perdent. Ce blog joint au fond l'utile à l'agréable.

Mais ce blog n'est plus seulement ça. Car de lire et d'écrire me procurent de véritables instants de bonheur. Quand je lis, écoute ou observe, je ne cherche à retenir par écrit que les qualités des textes, des discours et des postures, sans m'encombrer des défauts, que je n'ignore pas mais qui ne m'intéressent pas. Car ce qui m'intéresse, c'est de retrouver ici ou là les bons côtés de la nature humaine, les étincelles divines qui sont en elle.

Une réelle bienveillance ressortirait, paraît-il, de mes propos et de mes écrits. D'aucuns disent même qu'elle se lit sur mon visage qui se ride et que mon sourire en est la traduction lumineuse. Ce sont à mes yeux de sacrés compliments. Ils m'incitent à persévérer dans la tenue de ce blog qui de plaisir solitaire est devenu surtout, avec le temps et l'expérience, source de bonheur partagé et de raisons de vivre.

Merci donc

Merci du fond du coeur, je ne le dirai jamais assez, à toutes mes soeurs et à tous mes frères humains, qui ont la gentillesse de continuer à me lire, en dépit parfois de nos divergences ou de nos différences. Et merci bien sûr, cela va de soi, mais cela va mieux en le disant, à mon Créateur puisqu'il semble vouloir bien m'accorder encore ici-bas quelque sursis... dont l'ingénieur malgré lui et le littéraire contrarié, que je suis tout à la fois, comptent bien profiter.

Francis Richard