Sabine écrit, elle va mourir bientôt, dans quelques semaines, elle écrit, elle a quatorze ans, elle écrit à son ami Vassili ; après sa mort, après après, bien après, on dira qu'il était ami imaginaire. Mais c'est bien lui qui tient sa main de toute petite jeune fille, c'est lui qui pose sa joue contre la sienne, c'est lui qui lui permet de supporter l'insupportable, car la souffrance est toujours insupportable, car la souffrance ne sert à rien, elle est là, parfois et parfois il y a des petites jeunes filles qui écrivent comme Sabine, de toutes petites jeunes filles insignifiantes qui connaissent la véritable couleur du soleil, qui ne connaîtront jamais celle de la mort. Ne regarde pas si loin, Vassili, tu me fais peur.
N’est-il pas assez grand le cirque des steppes ?
Le ciel s’ajuste au bord.
Ne laisse pas ton âme s’échapper au delà comme un cheval sauvage.
Tu vois comme je suis perdue dans l’herbe.
J’ai besoin que tu me regardes, Vassili.La main des dieux, tu peux refuser de la prendre.
La main du mendiant, tu peux aussi.
Toutes les mains qui frôleront la tienne, tu peux les oublier.
La main de ton ami, ferme les doigts sur elle, et serre-la si fort
que le sang de ton cœur y batte avec le sien au même rythme.Ne parle pas d’absence, toi qui ne sais pas.
Mets seulement ta joue contre la mienne.
As-tu jamais interrogé la porte qui doit s’ouvrir pour le retour
et désespéré… ?
As-tu jamais au petit jour songé qu’on pourrait
ne plus se revoir peut-être et imaginé ?…
Serre-moi plus fort.
Nos deux ombres séparées, que deviendraient-elles ?N’oublie pas la chanson du soleil, Vassili.
Elle est dans les chemins craquelés de l’été,
dans la paille des meules,
dans le bois sec de ton armoire,
…si tu sais bien l’entendre.
Elle est aussi dans le cri du criquet.
Vassili, Vassili, parce que tu as froid, ce soir,
Ne nie pas le soleil.