« Quand j’étais petit,
je croyais que la bande de Gaza
c’était un groupe de rock. »
C’est affiché et clair, le monde est loin, même s’il est dans tous les gestes quotidiens, il est mis à distance par la dérision la plus totale comme dans le poème « Petit pot, couches et discussion à propos d’économie », où après avoir effectué un tour de planète en l’espace de quelques gestes de la vie domestique :
« et maintenant mon enfant,
que vas-tu faire de toute cette mondialisation qui arrive aux portes de ta bouche ?
À mon fils de 11 mois de répondre :
― Perso, j’en sais rien. Sûrement tout manger. Pose plutôt la question aux fabricants de couches qui tirent profit de toute cette merde. »
Le sarcasme n’épargne personne, pas même l’interlocutrice des poèmes, compagne fictive ou réelle :
« Tu me dis que tu aimes bien la poésie.
En particulier ces courts poèmes japonais
Les sudokus.
Il y a de tout pour ne pas faire un monde, un macrocosme, du sudoku, donc, mais aussi du MMS, SMS, de la pub pour une revue de poésie, un atelier d’écriture, un flash mob, du streaming, du spasfon, des choses qu’on ne trouve pas a priori dans la poésie des poètes du grand vingtième, choses de la vie quotidienne, choses de la vie ordinaire, qui ne font pas rêver, d’un jeune homme sans illusions sur le monde et qui se rattrape en y mêlant des piments humours.
La poésie, dans son extrême-contemporanéité ambiguë, n’est pas épargnée : « Je viens de rentrer d’une lecture/ça manquait de poil/une lecture organisée par une revue de poésie/ça manquait de poil/c’était marqué PERFORMANCE/ça manquait de poil/alors qu’il s’agissait d’une simple lecture qui/manquait de poil etc. »
La platitude est la rampe de lancement des poèmes afin qu’ils décollent, exercice toujours périlleux, de faire poème avec le plat pays qu’est le quotidien domestique. C’est réussi. On sourit. Le tour de force est réussi quand on sourit où ce n’est pas drôle, comme Pierre Desproges savait nous faire rire jaune avec des choses graves. Parfois, on cherche le drôle pour sourire, et on ne le trouve pas, le poème semble tomber à plat, or ce sont les petites incartades de gravité glissées comme peau de bananes verbales.
Poésie insolente, tonique, qui vous fiche une saine petite claque.
Jean-Pascal Dubost
1 En dehors de l’ouvrage ici recensé :
Hélène Dassavray, On ne connaît jamais la distance entre soi et la rive
Mireille Disdero, Ecrits sans papiers. Pour la route entre Marrakesh et Marseille
Thomas Vinau, p(H)ommes de terre
Emanuel Campo, Maison – Poésies domestiques, La Boucherie littéraire, 12€
Fiche du livre sur le site de l’éditeur