Problème de riche, bien sûr. Problème aussi d'un coup de projecteur trop appuyé sur un seul livre, quand tant d'autres mériteraient mieux que de récolter des miettes...
Chaque fois qu'un ouvrage monopolise les prix, j'en veux un peu, voire beaucoup, aux différents jurys et je me demande s'ils ne sont pas aussi moutonniers que peut l'être une partie du public - la partie pour laquelle un chiffre de vente est un argument de qualité. Heureusement, il n'y en a pas tout à fait que pour Olivier Bourdeaut. Catherine Poulain a reçu le Prix Mac Orlan pour son formidable roman, Le grand marin. Son premier livre, elle aussi. La pêche à la ligne, cadre favorable à la méditation, n’est pas le genre de Catherine Poulain. Son premier roman, Le grand marin, nous entraîne sur des mers secouées, du côté de l’Alaska, pour des campagnes de pêche à l’ancienne. La fatigue, la douleur, la peur règnent, avec quelques moments d’exaltation. Mais ceux-ci se produisent plus aisément sur terre qu’en bateau, quand par exemple les pêcheurs repeignent la ville en rouge. C’est-à-dire, pour l’exprimer crûment, vont se saouler la gueule. Dans un contexte très masculin, Lili, femme menue mais aux mains puissantes et à l’esprit libre, fait tache. Elle veut pêcher pour échapper à la routine dans laquelle elle s’engourdissait en France. Elle n’a pas les papiers nécessaires, tout le monde n’est heureusement pas à cheval sur les règlements. Mais elle doit s’imposer parmi les marins-pêcheurs, sur les bateaux comme dans les bars, ce n’est pas gagné. Catherine Poulain a dû vivre cette existence précaire, les mains blessées, le corps rompu, le sang des poissons giclant jusqu’au visage. L’expérience personnelle ne suffit certes pas pour écrire un roman qui emporte le lecteur dans les mêmes émotions. Il y faut quelque chose en plus, qu’on appellera le talent pour faire vite. Si Le grand marin nous fait vibrer au rythme des vagues et des prises, à celui des bières et du manque de sommeil, c’est parce que l’écrivaine impose, avec son entrée en littérature, un langage aussi âpre et heurté que ce dont elle nous parle. On entend les cris, on les reçoit comme des chuchotements… Si le titre se rapporte à un homme – le grand marin s’appelle Jude, comme son père, comme son frère –, et non à l’activité qui occupe principalement Lili, c’est bien parce qu’une histoire d’amour fait surface. Mais peut-être va-t-elle se noyer, tant l’attirance réciproque sur laquelle elle se construit est minée par des désirs contradictoires. Reste la question du pourquoi. Pourquoi s’engager avec autant de volonté dans une activité éreintante et dangereuse ? On trouve plusieurs réponses au fil des pages. Dont celle-ci, qui les résume au mieux : « Je veux m’épuiser encore et encore, que rien ne m’arrête plus, comme… comme une corde tendue, oui, et qui n’a pas le droit de se détendre, tendue au risque de se rompre. » On est très loin, en effet, de la pêche à la ligne, et plus proche de ce qui doit motiver des sportifs de l’extrême. Si étrangères au lecteur que soient ces aspirations, il les partagera volontiers le temps d’un livre. Et Astrid Manfredi a été choisie par le jury du premier Prix Régine Deforges, réservé à un premier roman, grâce à La petite barbare.Avec son « cri de cheyenne sans tribu », l’héroïne du premier roman d’Astrid Manfredi se fait entendre. Tous les moyens sont bons pour rendre supportable et abréger son séjour en prison. Sa voix est pleine de colère, elle gronde comme celle d’un fauve avec, dans un coin de sa tête, quelques modèles, de Nabilla à Marguerite Duras. Et l’espoir de vivre pleinement au rythme de ses 21 ans : boîtes de nuit et shots de vodka. Bientôt libre, elle fait provision d’une énergie qu’elle partage.