Au Brésil Whatsapp est utilisé par une personne sur deux et par de nombreuses marques pour communiquer avec leurs fans. Le service de messagerie souligne la transition que nous vivons actuellement : le « direct marketing » devient le « direct messaging »
« Les Brésiliens cultivent l’informel. Ils se plaisent à affubler tout ce qui les entourent de surnoms, même les marques avec qui ils sont amenés à interagir. Ainsi Facebook devient ‘Face’, Instagram, ‘Insta’ – prononcé ‘Inchta’ – et Whatsapp, un nom très américain, se transforme en zap zap », raconte Fernanda Saboia, en charge de la stratégie business et produit pour l’agence digitale Huge basée à Rio de Janeiro, intervenue à l’occasion de l’édition 2016 du South by South West (SXSW).
Et avec 93 millions d’utilisateurs actifs (pour rappel, la population brésilienne compte un peu moins de 205 millions d’habitants), « zap zap » semble en effet occuper une place importante dans le cœur des Brésiliens. « Whatsapp n’est pas seulement utilisée par la moitié des Brésiliens, c’est l’application la plus utilisée de toutes dans le pays. Elle enregistre d’ailleurs 10 points de pourcentage de plus que Facebook ! », explique Fernanda Saboia.
Avec son service de messagerie gratuit, la si populaire application secoue véritablement les business models établis des géants des télé-communications brésiliens, habitués à pratiquer des prix élevés. Selon Fernanda Saboia, envoyer un texto au Brésil coûte 55 fois plus cher qu’aux Etats-Unis.
Le franc succès de l’application n’a pas tardé à inspirer les entreprises, à commencer par les petits commerces. Ces derniers voyant Whatsapp comme un canal de communication digital efficace pour toucher leurs consommateurs. « Au Brésil, les gérants considèrent leur commerce comme une sorte d’extension de leur personne. Alors pourquoi n’auraient-ils pas leur propre profil Whatsapp ? », poursuit Fernanda Saboia. Cette dernière a interviewé 30 propriétaires de petits commerces à Rio de Janeiro, dont des magasins de vêtements, des studios de photos, des salles de gym ou encore des restaurants. Sur 30 établissements, 29 ont expliqué utiliser Whatsapp pour s’adresser à leurs clients et 10 ont même ajouté qu’il s’agissait de leur canal de prédilection.
D’un service après vente « frictionless » à l’image de marque
Comment les commerces utilisent l’application ? Il s’agit d’abord d’une plateforme de service client. Il n’est pas rare de voir les devantures de magasins afficher le logo Whatsapp suivi de leur numéro de téléphone pour inciter les passants et potentiels clients à prendre contact. Fernanda Saboia cite même l’exemple d’une marque de vêtements n’ayant pas d’empreinte physique mais qui avait pourtant récemment spécifié sur un post Instagram son numéro Whatsapp (le comble !), dans le but d’inciter ses followers à se connecter à la marque, poser des questions voire passer commande.
Au delà du retail, à Rio, les autorités locales ont également eu recours à l’application pour échanger avec les citoyens. Depuis 2010, la ville a vécu de nombreuses transformations. Organisatrice de la coupe du monde 2014, cette année Rio accueille les Jeux Olympiques. Ces évènements internationaux ont amené Rio à développer largement ses infrastructures, ce qui s’est accompagné de travaux colossaux. C’est ainsi que les autorités locales ont décidé d’afficher sur l’arrière des bus publics des numéros Whatsapp à destination des résidents pour recevoir des informations sur les routes fermées temporairement ou pour poser des questions relatives au travaux directement aux représentants de la municipalité.
Sur la vitrine de cette salle de gym à Rio de Janeiro, on peut voir une incitation directe à entrer en contact via Whatsapp
Autre usage de Whatsapp : fédérer une communauté autour d’une marque. Fernanda Saboia a notamment interrogé les employés de Huge à Rio. En moyenne, ces derniers font partie de 17 groupes Whatsapp différents, des groupes entre amis et collègues mais aussi des groupes en rapport avec des marques. « Le groupe Whatsapp est un moyen de partager des blagues, des vidéos amusantes ou encore des memes. En ce sens, au Brésil, Whatsapp prend le pas sur Tumblr, Slack et les groupes Facebook », commente Fernanda Saboia.
De surcroît, les marques brésiliennes envisagent Whatsapp comme un moyen de créer une conversation avec l’utilisateur, qui peut être aussi un client potentiel ou un client acquis et fidélisé. 73 % des commerces ayant participé à son étude ont révélé avoir déjà utilisé Whatsapp pour recevoir des commandes. Comme le relève Fernanda Saboia, « Quel serait l’intérêt des entreprises à mettre en place Square ou Shopify quand Whatsapp constitue l’outil CRM parfait ? ».
Enfin, Whatsapp sert la communication interne à l’entreprise, dans le sens où cette application a le pouvoir de faciliter la circulation d’informations, et ce rapidement. Fernanda Saboia cite notamment l’exemple d’un responsable haut placé d’une agence gouvernementale locale ayant choisi, plutôt que d’envoyer un email ou d’organiser une réunion, de se filmer en train d’annoncer une nouvelle importante à destination de ses équipes et de la diffuser sur le groupe Whatsapp de l’entreprise. Plutôt efficace en situation de crise.
L’ère du direct messaging
Mais Whatspp n’est que le symptôme de la transition que nous vivons actuellement. « Nous sommes dans l’ère du mobile. Sur un système de messagerie aussi populaire que Whatsapp, vos consommateurs sont à portée de main en permanence. De plus, tout le monde sait lire un texto rapidement. Whatsapp a également la chance d’être une interface très facile d’utilisation, même pour une population peu technophile. Toutefois il s’agit d’une tendance bien plus large que Whatsapp elle même, qui dépasse bien les frontières du Brésil. Le ‘direct messaging’, nouvelle forme de direct marketing est partout », commente Fernanda Saboia.
Mais comment s’adresser à ses consommateurs de la juste façon ? Si le message texte est personnel, il serait bien malvenu de la part des marques de spamer ses consommateurs ! « Vous devez d’abord comprendre comment vos consommateurs utilisent la plateforme de messagerie puis construire des campagnes en fonction de cette analyse préalable. Si vous ne le faites pas de la bonne manière, vos actions peuvent avoir l’effet inverse souhaité ! ». Reste à se poser la question de savoir comment faire rayonner sa marque au travers d’un système de messagerie sans froisser l’utilisateur. « D’abord, il s’agit de créer de contenu natif pour un groupe, ce contenu doit être approprié, léger, et inviter au re-partage. Cela peut même être du contenu brandé, tant que les critères précédents sont respectés ».
Sur les 10 applications les plus utilisées par la population brésilienne, Whatsapp arrive en tête, largement devant Facebook
Fernada Saboia cite l’exemple de P&G qui pour une de ses marques de shampoing s’est associée avec une personnalité du football brésilien, l’entraîneur de football Telê Santana pour réaliser une vidéo amusante, un contenu que les utilisateurs ont pu aisément s’approprier et repartager, le tout aux couleurs de P&G.
« Les gens se sentent à l’aise pour relayer ce contenu au sein de leur groupes d’amis. Très rapidement, P&G s’est retrouvé présent dans des milliers de conversations Whatsapp mais pas uniquement, ce qui est un coup marketing plus qu’habile ! », analyse Fernanda Saboia.
Enfin, les systèmes de messagerie devraient également être utilisés pour proposer des services qui offrent de la valeur à l’utilisateur, ce qui revient à se poser la question de comment fournir un service tout en vendant un produit. « Il faut que cela arrive au bon moment, que cela apporte de l’aide concrète à l’utilisateur et qu’il y ait toujours le facteur émotionnel », précise Fernanda Saboia.
Le direct marketing arbore donc un nouveau visage avec les systèmes de messagerie directe. Les usages insoupçonnés de Whatsapp par les entreprises et les organisations publiques brésiliennes en forment un bel exemple, ce qui a probablement de quoi faire sourire Mark Zuckerberg qui rachetait Whatsapp il y a plus de 2 ans maintenant.
Crédits photo : Fernanda Saboia